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Note : Pas pu tenir le délai voulu… Je poste du coup plus tard que la date où je poste habituellement car j’ai fini d’écrire ce chapitre trop tard pour qu’Eliandre puisse le corriger (ma faute donc…) Bonne lecture !

Playlist :

- Nightwish – Dark Chest of wonders

- Lindsey Stirling – Shatter me

- Battle Beast – Angel cry

- Caleb Hyles feat Myu – Numb (Linkin Park tribute)

- Imperia – Secret Passion


Partie 5

Cela faisait déjà un petit moment à présent que Rita s’était plongée dans de vieux ouvrages avec Estellise, espérant y trouver des réponses à ses questions.

S’il y avait bien une chose qu’elle appréciait grandement à Séléné, c’était cet accès libre à la connaissance avec cette immense bibliothèque qu’il y avait à Tsuki ainsi que les savants qui n’étaient pas contraints d’être affiliés à un temple. Que cela faisait du bien de ne pas être obligée d’entrer quelque part par effraction ou de trouver quelqu’un pour le faire pour elle – une fois, elle avait eu la chance de tomber sur le seul prêtre de Sol qui ne semblait pas voir d’inconvénient à ce qu’elle consulte certains documents et qui avait été jusqu’à faire le guet le temps qu’elle puisse lire ce qui l’intéressait et ainsi s’apercevoir qu’elle n’aurait jamais ce qu’elle désirait dans ces écrits.

Elle se demandait d’ailleurs pourquoi Hélios réservait tant d’activités aux élites au lieu d’instruire un minimum son peuple qui, bien souvent, était obligé de recourir à un scribe pour pouvoir lire certains documents – dans le cas de Rita, elle devait son savoir au scribe qui l’avait prise sous son aile quand elle était toute petite et qui, voyant son immense désir d’apprendre, avait décidé de lui enseigner la lecture et l’écriture, deux choses qui avaient grandement été utiles aux habitants de son village.

A présent, il lui fallait trouver un indice qui pourrait la mener vers ce lien entre les évènements à Hélios et ceux des Terres des Nyx… si possible avant que Yeagar ne retourne à Némésis car, même si elle était terrifiée par le personnage, il était le seul qui pouvait les aider dans l’immédiat – si seulement elle avait un moyen de contacter Judith… mais il n’y avait que Raven dont elle connaissait l’emplacement et il n’avait pas encore répondu au seul message qu’elle avait pu lui envoyer, ce qui n’était pas très bon signe…

« C’est incroyable tout ce que vous possédez ici ! » s’était exclamée Rita en repérant un ouvrage d’astronomie qui la tentait grandement. « Jamais je n’ai vu ça à Hélios ! »

« Nous sommes pacifistes donc au lieu de fabriquer des armes, nous préférons nous cultiver et vivre en paix avec nos voisins. » avait expliqué la princesse en prenant un livre de contes et légendes sur une étagère. « Hélios commerce beaucoup avec nous, surtout depuis quelques années. »

C’était logique : le royaume de Sol devait compenser la baisse constante de ses réserves de nourriture en exportant ses autres ressources, principalement minières, et en important des produits venant des pays voisins. Or, cette solution ne pouvait pas durer éternellement, surtout si la prochaine crue du Neilos était encore inférieure à la précédente. La famine menaçait les terres d’Hélios et les Nyx risquaient d’aggraver le problème…

« Et avec les Nyx ? » avait questionné Rita, curieuse. « Je sais via des registres que j’avais lu ce qu’exportent Séléné et Myorzo mais pas les Terres des Nyx. »

« C’est assez compliqué depuis plusieurs années avec l’Alliance de Sang… » lui avait répondu Estellise, visiblement pensive. « Je me rappelle vaguement que, du temps de l’impératrice Belius, ils nous vendaient beaucoup de vin, de tissus épais comme la laine et quand nous avions eu une année une surpopulation de sangliers, leurs chasseurs avaient obtenu le droit de venir les traquer chez nous. Cela devait être il y environ cent cinquante ans je crois… Nos archives ou l’un de nos historiens devraient pouvoir répondre précisément à cette question. »

L’érudite était impressionnée : à Hélios, le peu qu’elle avait appris sur les précédents dirigeants de son pays était via le bouche à oreille et le scribe qui l’avait formée – grâce à ses multiples effractions, elle avait ainsi pu dater plus précisément la période de règne du roi Phareoh qui avait été le dernier souverain à commercer avec les Nyx bien que ses rapports avec Gussios puis Astal étaient tendus.

Après avoir pris les quelques ouvrages qui leur avaient semblés pertinents, les deux jeunes filles s’étaient installées à une table pour les consulter – si la princesse avait opté pour des biographies des précédents empereurs de Séléné et un livre retraçant la mythologie de Luna, Rita avait choisi une traduction de divers poèmes et textes sur Umbra puis tous les manuscrits qui pouvaient évoquer les autres dieux.

L’adolescente avait très vite constaté à quel point la mythologie de Topaze avait souffert en Hélios : la déesse du foyer était à l’origine une musicienne vivant dans un village nommé Parques et qui était situé dans les Dents de Cerbère. Visiblement, vu la nature de certains vers, le dieu des ténèbres s’était beaucoup intéressé à elle et lui avait enseigné bien des choses mais leur relation avait visiblement tourné court quand la divinité de la nuit l’avait rejetée et, manifestement, pratiquement poussée dans les bras de son frère Sol.

Pourquoi cacher cela au peuple ? C’était absurde !

Elle avait aussi trouvé pas mal de chansons et de berceuses Nyx ainsi qu’une peinture d’Umbra particulièrement saisissante – si l’on exceptait les yeux rouges, la ressemblance de la divinité avec Yuri était incroyable ! A croire qu’il était sa réincarnation physique…

« Rita, je pense que j’ai quelque chose. » déclara Estellise en lui montrant la page qu’elle lisait. « Ce passage relate le mariage de Luna avec Océan. Il y a aussi la liste de leurs invités ainsi que les cadeaux qu’ils ont amenés avec eux. »

Intriguée, l’érudite y jeta un œil. Sans surprise, elle y lut les noms de Sol et d’Umbra – à priori, les deux frères avaient fait une trêve dans leurs querelles pour ne pas perturber les noces de leur sœur, allant jusqu’à éviter de s’asseoir trop près l’un de l’autre pour ne rien gâcher des festivités. Celui de Topaze était lui aussi présent, la déesse du foyer ayant offert à sa belle-sœur une magnifique composition à la lyre tandis que…

« Hein ? » tiqua l’adolescente en voyant un nom qui ne lui disait rien. « Qui est-ce au juste ? »

-§-

L’aube s’était levée sur Aurum et, après vérification, Narcisse était encore vivant… mais il n’en avait plus pour très longtemps, le laurier rose l’ayant grandement affaibli à défaut de l’avoir tué – rien qu’à l’odeur de sa cellule et à l’état de sa personne, il était clair que personne ne pourrait envier son sort. Autant dire que le décapiter ne pouvait que lui rendre service en abrégeant ses souffrances…

Vu qu’Orpin était instable depuis hier soir et que Yuri n’était pas du tout en état de se montrer en public, Lucrèce était le seul pensionnaire du harem qui assisterait à l’exécution. Qui plus est, Garista était lui aussi absent, sa présence étant requise au temple de Sol, ce qui était parfait pour Raven : il allait pouvoir s’occuper du cas de l’érudit sans risquer d’éveiller les soupçons du sorcier solaire.

Qui plus est, depuis que le roi Thar avait vu Flynn, quelque chose le titillait…

A l’instant même où il avait vu le regard plein de rancœur et de défi du soldat, l’espion avait craint le pire vu l’humeur de son souverain. Mais à sa grande surprise, le roi d’Hélios l’avait longuement dévisagé et son expression était devenue difficile à déchiffrer jusqu’à ce que Yuri finisse par s’interposer entre eux, fixant de ses yeux anthracite ceux mordorés du dirigeant d’Hélios… et le suppliant du regard de laisser son garde tranquille.

Le Nyx était encore fébrile suite à cette soirée bien trop agitée pour lui et ce fut probablement cela qui poussa le roi à quitter la pièce, non sans recommander à l’érudit de se lever à l’aube car il assisterait seul à l’exécution de Narcisse.

De ce que Raven avait pu voir tout à l’heure, Yuri n’avait pas dû dormir de la nuit, ayant probablement pleinement pris conscience de la situation dans laquelle il se trouvait. Le favori avait besoin de temps pour s’en remettre et faire son deuil… Il ne pouvait que compter sur Flynn et Rowen pour le surveiller afin de s’assurer qu’il ne fasse pas de bêtise.

A présent, il était sur la terrasse surmontant la grande cour où serait décapité Narcisse et jusqu’où il avait escorté l’érudit, à présent adossé à un mur et le regard suivant soigneusement tout ce qu’il se passait en bas.

« A quel jeu joues-tu exactement Lucrèce ? » questionna le capitaine, profitant qu’il était seul avec le favori en attendant l’arrivée du souverain.

« Je pourrais vous retourner la question. » répliqua l’érudit en haussant un sourcil. « A part vous, je ne vois pas qui aurait pu fournir un masque à Yuri. »

Prendre Lucrèce à rebrousse poil n’était pas une bonne idée, un peu comme avec Rita mais en moins explosif. Cependant, la flatterie ne le mènerait à rien du tout, surtout si celui-ci était un allié de Garista. Il allait donc devoir avancer avec prudence…

« Un arrangement entre moi et le gamin. » répondit Raven, sachant pertinemment que révéler cela n’aurait pas d’incidence. « Toi par contre, je ne m’attendais pas à ce que tu ais besoin de tant de temps pour dresser une simple liste. »

Ses subordonnés chargés de surveiller le palais avaient été clairs : le favori taciturne avait accès à la réserve du sorcier solaire quand bon lui semblait et avait été vu plusieurs fois au temple de Sol. De plus, sa rancœur à l’égard de Narcisse était visible donc il devait déjà avoir réuni toutes les preuves qu’il lui fallait pour s’en débarrasser. Il avait donc menti sur ses activités réelles avant sa venue au banquet…

« J’avais oublié que vous étiez un espion à l’origine… » déclara Lucrèce en fronçant le nez avant de lever la tête, fixant à présent les murs du palais et les quelques toits des habitations de notables que l’on pouvait distinguer. « Mais vous n’avez pas accès à tout il me semble, comme le temple de Sol. »

« Quelqu’un comme moi n’a aucun droit d’y entrer, effectivement. » confirma le capitaine, ses yeux bleus observant attentivement son interlocuteur qui, à chaque mention de ce lieu de culte, avait grincé des dents. « Le sorcier solaire en pense quoi de ton entrée au… »

« Abattons notre jeu. Nous ne sommes pas ennemis vous et moi. »

Le regard de l’érudit se braqua sur lui avec un certain agacement.

« Jamais je ne serais l’allié de Garista ou de quiconque qui restreint autant l’accès à la connaissance. » poursuivit Lucrèce sur un ton acide. « Je ne suis au harem que dans l’espoir de détrôner ce traître à Hélios de son poste et de lui prendre sa place. Lui ôter quelques appuis au sein du palais est un bonus non négligeable… »

En prononçant ces derniers mots, le favori avait fixé l’emplacement où aurait lieu l’exécution avec satisfaction.

« Narcisse travaillait donc pour Garista ? » questionna Raven, peu étonné par cette information à la vue des derniers évènements.

« C’est le seul qui pouvait lui fournir les poisons qu’il a utilisé au sein du harem. » répondit l’érudit en se tournant vers le soldat. « Je pense qu’il a utilisé du venin de scorpion pour tuer Thot, mon oiseau. De plus, vu les morts des différents rats que j’ai vu agoniser ces cinq dernières années, je suis certain qu’il a forcément eu accès à la réserve du sorcier solaire. Quant à l’objectif initial… cela devait très certainement être ma mort. »

Cela était plutôt logique : si Garista avait compris que Lucrèce en voulait à sa fonction, il avait tout intérêt à se débarrasser de lui dans un lieu où l’on ne pourrait pas l’accuser directement… comme le harem. Qui plus est, l’arrivée de Yuri qui était très demandé par le roi avait dû attiser fortement la jalousie de Narcisse qui en avait oublié la raison de son alliance et expliquerait ainsi que le sorcier solaire ait contribué à sa perte lors du banquet. Par contre, il y avait un détail qui ne collait pas…

« Bien que je sois très enclin à croire cette histoire, une chose n’y est pas cohérente. » souligna l’espion en se souvenant du rapport fait par ses hommes après la fouille totale du harem. « Si, effectivement, du laurier rose a été trouvé chez Narcisse, rien n’indique qu’il ait usé de cactus Peyotl. »

« Vraiment ? » demanda l’érudit, très surpris. « C’est vrai que cet empoisonnement-ci avait été très différent des autres mais cet imbécile n’était pas malin au point d’avoir pu cacher toutes les preuves. »

« Nous sommes d’accord. Aucun de ses serviteurs n’a été aperçu près de la réserve de Garista avant cette histoire, ce qui est d’autant plus troublant. »

Qui était donc le coupable pour cela et dans quel but ? Le sorcier solaire aurait-il soudoyé un serviteur ? C’était une question à laquelle il leur fallait impérativement trouver la réponse…

-§-

La nuit avait été compliquée pour Flynn, principalement suite à ce qu’il s’était passé entre Yuri et le roi. Il ne pouvait le nier : il avait ressenti une rage folle à l’égard de son souverain et, s’il ne s’était pas retenu, il l’aurait certainement frappé au lieu de le défier du regard comme il l’avait fait.

Cependant, pour une raison qui lui échappait, le roi Thar s’était contenté de le dévisager… avant de quitter la pièce suite à l’intervention du Nyx. Après cela, un silence pesant avait régné dans la chambre et ce jusqu’à ce que Lucrèce leur ait rappelé qu’il leur fallait dormir – les deux favoris avaient partagé le lit et lui s’était installé dans un des fauteuils.

Au lever du soleil, le soldat n’avait eu besoin que d’un coup d’œil pour comprendre que jamais Yuri ne serait en état d’assister à l’exécution : tout indiquait qu’il n’avait pas fermé l’œil et que, quoiqu’il se soit passé sur la terrasse, cela avait eu un tel impact sur lui qu’il n’avait même pas l’air de réaliser ce qu’il pouvait bien se passer autour de lui – la force avec laquelle il avait sursauté quand l’érudit lui avait touché l’épaule était la preuve qu’il n’était plus très attentif à son environnement. Lucrèce était donc parti seul avec Raven, non sans lui conseiller d’appeler Rowen en cas de besoin.

A présent qu’ils étaient seuls avec le serviteur, Flynn essayait de déterminer comment il pourrait être en tête à tête avec le Nyx afin de mieux comprendre la gravité du problème et espérait pouvoir le sortir de cet état au plus vite…

« Si je puis me permettre. » déclara le vieil homme en désignant une porte derrière lui. « J’avais pris la liberté de préparer les bains dans le cas où l’un d’entre vous aurait souhaité se rafraichir un peu après le banquet. »

Pour le coup, le soldat devait reconnaître que cette information tombait à pic ! Qui plus est, le favori avait bien besoin de changer de vêtements vu l’état dans lequel étaient les siens – tout indiquait qu’il avait dû se retourner une bonne centaine de fois dans le lit, ses habits de lin s’étant bien froissés et étant imprégnés d’une odeur de vin peu agréable.

« Merci pour cela. » remercia-t-il son aîné avec respect. « Je vais l’aider moi-même à s’y rendre si vous n’y voyez pas d’inconvénient. »

« Absolument aucun. » déclara Rowen avec un sourire amical. « Je m’assurerai que personne ne vienne vous déranger. »

Il remercia à nouveau le serviteur puis, prudemment, il s’approcha du lit, là où était assis Yuri depuis un bon moment déjà, les yeux dans le vague. Il posa sa main sur l’épaule du favori, le ramenant brusquement à la réalité.

« Ce n’est que moi. » le rassura Flynn en se baissant pour être à son niveau. « Est-ce que ça te gêne si je m’occupe de toi à la place de Karol ? »

Face à ce regard vide, il crut un moment ne pas recevoir de réponse mais contre toute attente, le Nyx secoua négativement la tête. Le soldat s’écarta un peu pour le laisser se lever et lui prit doucement la main, sentant les longs doigts fins trembler contre sa paume – en constatant cette réaction, il avait instinctivement commencé à passer son pouce sur cette main tout en la serrant avec le plus de délicatesse possible.

Calmement, le garde conduisit le favori vers les bains, peu attentif au couloir qu’il empruntait jusqu’au moment où ils arrivèrent devant les portes des bains royaux. Il les ouvrit, découvrant un bassin un peu plus grand que celui du harem et mieux éclairé grâce aux nombreuses ouvertures qui y laissaient entrer la lumière. Il y avait aussi, dans un coin, une table sur laquelle avait été soigneusement disposés des accessoires pour les cheveux, des pagnes en lin blanc impeccablement pliés et deux paires de sandales. A côté, il y avait une chaise en bois sombre dont les pieds sculptés évoquaient des pattes de lion.

Comme promis, personne n’était présent ici et ils étaient donc seuls en ces lieux.

« Est-ce que tu veux que je t’attache les cheveux ? » proposa Flynn en désignant d’un signe du menton les bandeaux en lin présents sur la table. « A moi que tu ne veuilles les laver ? »

Yuri lui répondit d’un hochement de tête négatif, son regard anthracite dirigé vers le sol carrelé, puis il libéra sa main de celle du soldat avant d’essayer de défaire sa tresse qui ne ressemblait plus du tout à ce qu’elle était hier soir.

Pendant ce temps, le garde repéra où étaient les pots d’onguents et d’huiles parfumées ainsi que les jarres contenant de l’eau pour se rincer. Se fiant à son odorat, il choisit uniquement des senteurs qui n’imprégnaient pas trop ses narines et opta pour une huile parfumée au lys – Karol aurait probablement choisi autre chose, le jeune serviteur ayant à la fois le nez et l’œil pour s’occuper de celui qui était à la fois son maître et ami.

Un coup d’œil vers le favori lui permis de constater que celui-ci avait fini de défaire sa coiffure, peignant à présent sa longue chevelure sombre d’un geste moins vif qu’à son habitude – le matin au réveil, il l’avait souvent vu user d’un peigne en os pour remettre ses mèches désordonnées en place, le tout avec un mouvement qu’il trouvait élégant à voir. L’habit de lin noir qu’il n’avait pas quitté depuis leur départ du harem était plus ouvert qu’à l’origine, probablement parce que la ceinture d’origine avait été troquée contre une autre en lin sombre pour une question de confort et que le vêtement n’avait pas été correctement mis en place, dévoilant plus largement le torse qu’il ne le devrait.

Face à cette scène, Flynn prit place face à Yuri et entreprit de le déshabiller, chose que ce dernier ne semblait qu’à peine relever bien que ce geste était hautement inhabituel entre eux. Il essayait de résister à l’envie de toucher cette peau d’albâtre, faisant en sorte que ses doigts ne la frôlent pas plus que nécessaire tandis qu’il ôtait le tissu sombre qui la cachait.

Une fois l’habit en lin sombre au sol, le soldat s’attaqua à ses propres vêtements en se mettant dos au favori – jamais il ne se présentait nu devant lui au harem, à la fois par pudeur et aussi parce qu’il savait ce que certaines mauvaises langues pourraient faire courir comme rumeurs sur leur relation, faisant que la seule fois où cela s’était produit était lors de cette fameuse nuit où Umbra s’était montré dans les bains. Il garda son bracelet au poignet – Lucrèce le lui avait rendu peu avant de partir ce matin – puis se passa une main dans les cheveux avant de jeter un coup d’œil sur son camarade, remarquant que celui-ci avait la tête tourné sur le côté et les oreilles plus colorées que d’ordinaire…

Soudain, une des images montrée par le dieu de la nuit lui revint en mémoire : celle qui se passait aux bains et où tous deux étaient dans une position loin d’être innocente… Il avait été tellement préoccupé par l’état du Nyx qu’il en avait oublié ces visions.

« Je… pense qu’il faudrait que l’on parle de ce… baiser. » estima Flynn en essayant de dissimuler sa gêne avant d’entrer dans le bassin. « Sauf si… »

« Non ! » répondit brutalement Yuri, son visage ayant pris une bonne teinte carmine.

Rapidement, le favori entra à son tour dans l’eau et lui tourna le dos en ramenant ses cheveux sur le côté, dévoilant une partie du tatouage de scorpion qu’il avait derrière la nuque.

Voyant qu’il était à présent ignoré, le soldat soupira de dépit et commença à se laver la tête, frottant bien l’huile parfumée sur ses épis blonds avant de se rincer avec une jarre d’eau claire. Il eut comme une sensation d’inconfort au niveau de son épaule droite, probablement suite au fait qu’il avait un peu trop forcé dessus ou parce qu’il avait encore dormi dans une mauvaise position cette nuit. Par réflexe, il la fit rouler une ou deux fois pour essayer de faire passer cela mais cela ne changea rien.

Alors qu’il envisageait de prendre un pot d’onguent, il entendit bouger dans l’eau puis sentit deux mains se poser dans son dos et commencer à masser doucement la zone concernée. Contrairement à hier, les mouvements avaient moins de vigueur et étaient plus hésitants, comme si le Nyx n’était pas concentré sur ce qu’il était en train de faire. Il allait lui demander pourquoi il faisait cela quand…

« Tu te souviens quand je t’ai dis que je n’avais aucune famille ? » le questionna Yuri, sa voix quelque peu tremblante.

« Oui… » répondit Flynn, se remémorant le jour où il lui avait dit de qui il tenait son bracelet. « Tu me disais que tu ne pouvais pas comprendre ce que je ressentais. »

Il entendit déglutir difficilement derrière lui tandis que les doigts qui étaient sur sa peau bougeaient plus lentement.

« Je n’ai jamais connu mes parents. » déclara le favori, le son de sa voix trahissant le fait qu’il cherchait à cacher ses émotions. « Ils ont été tués avant que je ne puisse me souvenir de leurs visages, leurs odeurs… Beaucoup ont connu ça parmi mon peuple et dans ces cas-là, les orphelins rejoignent bien souvent un clan en perpétuant ce cycle sanglant. »

« D’où les histoires horribles que l’on entend en Hélios sur le peuple de la nuit… » supposa le soldat, se souvenant de quelques récits où l’on racontait que les Nyx enlevaient les nouveau-nés et les jeunes filles en âge de se marier.

« Entre autres… Dans mon cas, j’ai échappé à ça car le… sage nocturne m’avait recueilli. Je suis devenu son apprenti… même si je n’étais pas trop… d’accord pour ça. »

Un rire étrange échappa au Nyx, ce qui inquiéta le garde. Les mains sur son épaule ne bougeaient plus et étaient à présent juste posées contre celle-ci. Doucement, il les ôta puis se tourna face à son ami… pour constater que le visage aux traits fins qui, habituellement, affichait plutôt une expression moqueuse, était à présent voilé par une profonde détresse.

« Je ne l’écoutais qu’à moitié » poursuivit Yuri, les yeux dans le vague. « Je préférais aller dans les montagnes chasser des lièvres ou… sortir de cette fichue caverne où ça empestait la mort… Il m’avait grondé je ne… sais combien de fois… et je m’en moquais. Puis un… un jour, il m’a dit… de m’enfuir, de quitter Némésis. Il m’a… couvert et… je ne l’ai plus jamais… »

La voix du favori mourut dans sa gorge dans un son étranglé. Les lèvres fines s’étaient mises à esquisser une grimace et les dents qu’elles dissimulaient grinçaient avec violence. Délicatement, Flynn posa ses mains de chaque côté du visage du bel éphèbe, sentant clairement les tremblements qui secouaient son corps tout entier.

Il avait déjà vu et ressentit cela… quand son père était mort alors qu’il était encore un enfant. Il avait essayé de toutes ses forces de dissimuler sa tristesse pour que personne ne voit à quel point il souffrait intérieurement et il était allé jusqu’à se cacher dans un bosquet de papyrus. Sauf que Sodia, qu’il rencontra ce jour-là, l’avait trouvé. Il avait craint qu’elle ne se moque de lui mais celle-ci lui avait dit qu’elle ne le jugerait pas et qu’il avait tout à fait le droit de pleurer s’il le voulait. Alors il avait cessé de retenir ses larmes, déversant sa peine tandis que celle qui allait devenir son amie était restée à ses côtés pour lui tenir compagnie et aussi éloigner des garçons plus âgés qui venaient pour se moquer de lui – elle avait réussi à les tenir en respect en leur jetant des cailloux et en frappant l’un d’eux d’un coup de pied pile au niveau de l’entrejambe.

Il avait rendu la pareille à la rousse des années plus tard quand elle avait perdu sa mère, lui permettant d’apaiser discrètement son chagrin sans montrer celui-ci à tous les curieux du village.

A présent, il devait à nouveau aider quelqu’un à apaiser sa douleur et ce fut donc avec la plus grande délicatesse qu’il lui leva la tête et attendit que ce regard anthracite, voilé par un tourbillon d’émotions, vienne se fixer dans le sien.

« Il n’y a que nous ici. » lui dit Flynn avec calme. « Tu peux hurler, crier ou autre, cela restera entre nous. Je t’en fais la promesse. »

Les yeux gris s’agrandirent d’étonnement en entendant ces mots puis parcoururent chaque morceau de son visage, cherchant, certainement par réflexe, le moindre signe de mensonge. Soudain, des larmes, jusqu’ici difficilement contenues, vinrent les embuer avant de glisser le long des joues pâles, frôlant la bouche tremblante dont les lèvres étaient serrées l’une contre l’autre. Sans autre avertissement, Yuri se jeta dans ses bras et extériorisa toute sa souffrance.

-§-

Quand était-ce la dernière fois qu’il avait pleuré ? Il se rappelait vaguement avoir versé une larme en épluchant des oignons à plusieurs reprises mais cela ne comptait pas, tout comme les fois où il s’était accidentellement piqué un doigt en essayant de faire de la couture. Il n’avait pas non plus réagi quand les autres enfants avaient commencé à l’embêter à Némésis… ce qu’ils avaient amèrement regretté par la suite.

Non, Yuri avait beau réfléchir, il n’avait aucun souvenir d’une douleur aussi profonde que celle qu’il ressentait actuellement…

Certes, il avait déjà vécu des instants de deuil mais la majorité du temps, ce n’était pas des personnes qu’il avait eu le temps de connaître. Qui plus est, il avait vu défiler tellement de cadavres durant son enfance que cela l’avait habitué à la mort, quelque chose qui, sous le règne de tyran de Barbos, était malheureusement normal. Il avait vécu dans une sorte de cocon, la peine suscitée par la perte d’un proche ne pouvant l’atteindre… mais pas la colère des survivants qui réclamaient vengeance.

Le sang appelle le sang. Voilà ce qui résumait bien la société des Nyx telle qu’il la connaissait. Il n’y avait pas de place pour les émotions, la paix, la famille, l’amour… tout cela volait vite en éclats avec l’Alliance de sang qui avait changé Némésis en une cité à l’ambiance lourde et où l’odeur métallique du sang régnait.

En venant à Hélios, il n’aurait jamais imaginé voir une telle insouciance parmi les habitants. Aucun ne semblait craindre de se faire égorger sans prévenir à tout moment du jour ou de la nuit, les enfants jouaient sans crainte, les couples se dissimulaient à la vue des autres pour obtenir un moment d’intimité… C’était la première fois qu’il voyait quelque chose ressemblant à la paix… même s’il avait découvert plus tard que ce pays était lui aussi tourmenté, ce qui l’avait poussé à ne pas se laisser faire, n’ayant aucun désir de voir à nouveau défiler les cadavres de personnes qui n’auraient pas dû mourir.

Bien qu’il en ait longtemps voulu au sage nocturne pour l’avoir assommé et mis dans cette barque, il lui était reconnaissant pour lui avoir fait voir ce qu’il y avait au-delà de la cité sanglante.

Ce fut pour cela que lorsqu’Umbra lui annonça la mort de cet homme à qui il devait tout, Yuri avait refusé d’y croire car il savait que son mentor était quelqu’un de robuste et la maladie le fuyait. Mais quand le roi Thar lui confirma cette information en lui précisant que c’était l’œuvre de Barbos, il avait senti son monde s’écrouler comme s’il venait de se faire planter un poignard en plein cœur. Bien entendu, il avait nié cela avec force, refusant d’admettre la vérité, mais le regard mordoré du souverain n’avait trahi aucune once de mensonge…

Incapable de fermer l’œil, Yuri avait passé sa nuit à se maudire lui-même pour avoir été un élève aussi peu attentif, surtout quand il avait réalisé qu’il ne se souvenait pas de la moitié de ce qu’il était censé savoir, faisant qu’il s’était mis à angoisser à l’idée même que son propre peuple risquait de disparaître par sa faute. Comment pouvait-il leur expliquer qu’il était bien incapable de réaliser certains rituels car il n’en connaissait pas le contenu ? Et puis il se savait mentalement incapable de retourner à Némésis, pas tant que les eaux de l’Érèbe étaient souillées par le sang des enfants d’Umbra…

Au matin, Lucrèce avait tenté de le convaincre de boire une infusion d’herbes préparée par ses soins mais le Nyx avait refusé, n’ayant pas oublié les évènements de la veille. Il était plutôt soulagé que l’érudit soit parti seul assister à l’exécution car il n’aurait certainement pas supporté cela, même si c’était la tête de Narcisse qui allait être séparée de son corps. Il se sentait complètement… vide, épuisé par son angoisse qui l’avait maintenu éveillé et qui l’empêchait encore de trouver le sommeil.

La patience dont Flynn faisait preuve à son égard le touchait, même s’il avait été contrarié et… très gêné qu’il lui rappelle qu’Umbra avait pris un malin plaisir à lui piquer son corps pour assouvir certains… fantasmes cachés…

Non, Yuri savait qu’il ne pouvait pas se permettre ce genre de désirs, surtout maintenant qu’il savait qu’il était certainement le nouveau sage nocturne, ce qui lui imposerait de rentrer à Némésis et de rester sur les Terres des Nyx jusqu’à sa mort. Entretenir une relation avec quelqu’un n’était peut-être pas prohibé chez le peuple de la nuit mais à cause des guerres de clans et du fait que celui qui porte la parole d’Umbra doit rester neutre, cela était hautement complexe car il y avait le risque que cela soit vu comme un moyen de favoriser un clan plutôt qu’un autre. Il en voulait au dieu des ténèbres pour lui avoir fait faire cela… et il s’en voulait de ne pas avoir détesté cela.

Il avait voulu chasser ce souvenir gênant mais cela avait ravivé ses angoisses et le favori luttait intérieurement pour essayer de se calmer, ce qui ne fit que lui rappeler à quel point cela lui faisait mal d’avoir perdu la seule personne à laquelle il tenait dans son pays d’origine.

Quand il avait noté que Flynn avait encore une fois des soucis avec son épaule, il avait commencé à lui faire un massage mais il n’arrivait pas à se concentrer et, sans trop savoir pourquoi, il s’était mis à lui parler de ce qu’il ressentait actuellement… faisant remonter tout ce qu’il s’était évertué à refouler pendant des heures. L’hélien l’avait écouté et, par son regard azur qui exprimait toute l’empathie qu’il avait à son égard, le Nyx sut que cette promesse serait tenue… et il avait cessé de contenir sa peine, la laissant s’exprimer par des larmes et des cris de désespoir.

Il avait longuement pleuré sur l’épaule de son ami, extériorisant toute sa douleur tandis que des bras le serraient avec douceur. Durant tout ce temps, il ne l’entendit à aucun moment dire quoique ce soit mais il avait bien senti ces mains sur son corps et la chaleur de celui contre lequel il s’était lové. Cette étreinte l’apaisait et était réconfortante, comme s’il était dans une sorte de cocon protecteur. Ce geste, à ses yeux, valait mille fois plus que de simples paroles.

Après que ses larmes se soient taries, Yuri réalisa à quel point il était fatigué. Ses jambes le supportaient à peine et s’il n’était pas appuyé contre ce torse chaud, il n’était pas certain qu’il tiendrait debout. Il avait vraiment besoin de dormir.

« Tu veux que je t’aide ? » lui demanda doucement Flynn qui avait légèrement resserré sa prise, comme s’il avait senti ce qui clochait.

Le favori écarta sa tête de cette épaule réconfortante pour se retrouver très près du visage de son garde. La distance entre eux était plus qu’indécente car avec le peu de centimètres – non, c’était plutôt des millimètres vu qu’il était quasiment collé contre lui – qui les séparaient, il lui était difficile de ne pas détailler chaque parcelle de son visage, allant de ses yeux bleu azur qui lui rappelaient la couleur des eaux du grand lac Lymna durant les étés ensoleillés à ses lèvres abîmées par la chaleur d’Hélios et qui s’étaient réhydratées il y a peu, révélant leur teinte légèrement rosée. Tout comme sa vue, son odorat était lui aussi accaparé par ce jeune homme aux cheveux d’or, distinguant parfaitement son parfum musqué à travers les différentes fragrances qui régnaient dans les bains.

Il sentit son rythme cardiaque s’accélérer quand il posa à nouveau son regard sur cette bouche qui lui rappelait ce baiser qu’Umbra avait initié. Même s’il haïssait la divinité pour avoir osé faire ça, il mentirait en disant qu’il avait détesté ce contact et qu’il ne souhaitait pas le renouveler. C’était perturbant pour lui d’avoir un tel désir d’embrasser quelqu’un et, inconsciemment, il mordilla légèrement sa lèvre inférieure… avant de se souvenir que le soldat pouvait voir toutes ses réactions, ce qu’il réalisa en sentant un léger mouvement de recul chez ce dernier.

« Pardon. » fit le Nyx en détournant légèrement la tête, honteux de s’être fait prendre en flagrant délit. « Je repensais à… ce qu’a fait Umbra. Désolé pour ça.»

« Ce n’est pas ta faute » lui répondit son ami en relâchant sa prise pour poser ses mains sur ses épaules. « C’est juste que… je n’ai jamais été habitué à ce genre de… contact. »

En entendant ces mots, Yuri eut beaucoup de mal à ne pas réagir et à ne pas se sentir encore plus coupable. Il n’avait jamais abordé ce sujet avec Flynn mais il aurait vraiment préféré qu’il ait déjà eu quelques expériences amoureuses au lieu de s’être fait dérober son premier baiser par ce pervers de dieu des ténèbres ! S’il pouvait étrangler cette fichue divinité qui s’amusait à lui piquer son corps…

« Ah… » fut la seule parole du Nyx qui ne se sentait pas du tout d’humeur à rester sur ce sujet ou à taquiner qui que ce soit.

« On devrait sortir d’ici. » lui fit remarquer le soldat avec douceur. « Tu as besoin de dormir. »

Oh oui, il en avait besoin… vu qu’il comptait bien profiter de la nuit pour régler ses comptes avec ce fichu dieu pervers et essayer de trouver une solution au fait qu’il n’était pas du tout prêt à être sage nocturne.

Aidé par le soldat, il quitta le bassin puis chacun se sécha de son côté avant d’enfiler un des pagnes prévus à cet effet. Plusieurs mèches mouillées vinrent le déranger et il dut s’appliquer à essayer d’essorer au mieux sa chevelure, le poids de celle-ci commençant à tirer sur sa nuque. A un moment, il perdit l’équilibre, son pied ayant glissé sur une flaque d’eau, mais il fut rattrapé de justesse par son ami qui lui évita une rencontre brutale avec le sol. Seulement, la fatigue et le fait qu’il n’avait rien mangé commençaient à le rattraper, lui donnant l’impression d’avoir reçu un violent coup de massue. Sans réelle surprise, il eut un moment de faiblesse, sa vue se brouillant, et encore une fois, il évita de peu la chute grâce à la vigilance de son gardien.

« Tu tiens à peine debout. » lui fit remarquer Flynn avec inquiétude.

« J’avais vu oui… » grogna Yuri en sentant son estomac lui rappeler qu’il n’avait rien avalé depuis la veille. « Je peux tenir jusqu’à la chambre. »

Sauf que, visiblement, son ami en doutait fortement car à peine eut-il prononcé ces mots que le favori sentit quelque chose derrière ses jambes et tomba en arrière… du moins il le crut avant de réaliser qu’il était fermement tenu par un bras dans son dos et un autre sous ses genoux. Par réflexe, il s’était raccroché à ce qui était à sa portée et cela avait été le cou du soldat qui, à présent, le portait d’une manière qui le gênait fortement…

« Pose-moi par terre ! » s’exclama le Nyx, absolument pas ravi d’avoir été soulevé comme s’il était une jeune mariée. « Je peux marcher ! »

« Permets-moi d’en douter. » répliqua l’hélien en le fixant en fronçant légèrement les sourcils. « Rappelle-toi que mon travail est aussi de veiller sur toi donc s‘il t’arrive quoique ce soit… »

« Juste pour cette fois. Après, tu ne t’avises plus de me porter sans mon accord… »

Sans attendre de réponse, Yuri se colla autant que possible contre Flynn pour faire en sorte qu’il n’ait pas à trop forcer sur ses bras – quoique vu leurs différences de carrure, il y avait de bonnes chances pour que son ami ne le trouve pas si lourd que ça. Ses yeux avaient du mal à rester ouverts mais il se garda bien d’admettre qu’effectivement, il n’aurait pas été capable de retourner seul dans la chambre, ayant tout de même un minimum de fierté. Par contre, sa gêne concernant leur proximité était toujours bien présente et il espérait sincèrement que cela s’estomperait car à la fois à cause de son statut au harem et de ce qu’il était à présent aux yeux du peuple de la nuit, il ne pouvait absolument pas se permettre d’être attiré par quelqu’un.

Arrivés près des portes de la chambre de la reine, celles-ci leur fut ouvertes par Rowen et le soldat entra… avant de brutalement s’arrêter, interpelant le Nyx qui leva les yeux vers ce dernier. En constatant que celui-ci avait la mâchoire crispée et qu’il regardait fixement devant lui, le favori chercha ce qui pouvait tant le contrarier… et sentit toute fatigue le quitter pour être remplacée par une profonde terreur quand son regard tomba sur l’un des fauteuils qui était occupé par le roi Thar qui les avaient manifestement bien vu entrer.

-§-

Lui qui pensait pouvoir enfin permettre au favori de se reposer, il constata que cela ne serait pas possible quand il vit que le roi était présent, probablement en train de les attendre. Flynn retenait difficilement sa colère, surtout en sentant que Yuri n’était pas tranquille en présence de cet homme, mais il n’allait certainement pas baisser les yeux, même s’il était son souverain.

« Pose-moi sur le lit. » lui souffla le Nyx à voix basse. « Tout de suite. »

Le soldat s’exécuta, brisant le contact visuel avec le roi pour se concentrer sur sa tâche. Il croisa le regard anthracite de son ami qui le suppliait de ne pas défier le maître des lieux avant de se mettre à l’ignorer, mettant ainsi un minimum de distance entre eux. Il s’écarta ensuite du favori, laissant sa place à Rowen qui vint s’enquérir des désirs du bel éphèbe.

Calmement, Flynn se positionna près de l’ouverture de la terrasse, lui permettant d’avoir une bonne vue sur la porte d’entrée de la chambre ainsi que celles menant aux bains mais aussi d’être bien placé pour voir toute la pièce, ce qui lui permit de constater qu’ils n’étaient que quatre et que, sur la table basse, se trouvait une pile de rouleaux de papyrus ainsi que de quoi écrire.

« Il n’est pas très sage votre Altesse de venir travailler ici. » fit remarquer le vieux serviteur après avoir parlé avec Yuri. « Vous seriez plus à l’aise dans votre bureau. »

« Rowen, cette pièce prendrait la poussière si je n’y venais pas de temps en temps et toi avec. » répondit le roi en reportant son attention sur le contenu d’un rouleau. « Si tu n’avais pas demandé à rester ici, je t’aurais envoyé avec les autres serviteurs de cette partie du palais à Azurapolis profiter de la brise marine au service de cette vieille folle. »

« Dois-je vous rappeler que la reine Invidia, votre belle-mère, n’a toujours eu que très peu d’égards pour son personnel ? »

« Je le sais oui. Bérénice était sa copie conforme… »

En prononçant ces mots, Flynn remarqua que la mâchoire du roi Thar s’était crispée et que ses mains tenaient plus fermement le rouleau de papyrus, comme s’il était contrarié par ce sujet de conversation. Le souverain ne se calma que lors du départ du vieux serviteur mais il était clair qu’entendre parler de la dernière reine d’Hélios ne lui avait pas du tout plu.

Soudain, il croisa de nouveau le regard mordoré qui, cette fois-ci, le détailla des pieds à la tête, marquant quelques arrêts pour scruter plus attentivement certains détails de sa personne. Le soldat se garda bien de lui rendre la pareille, surtout que contrairement à lui, le souverain portait une coiffe et un habit de lin blanc qui dissimulaient ses cheveux et une bonne partie de son corps.

« Quel est ton nom ? » lui demanda le maître des lieux, visiblement curieux.

Au mouvement qu’il perçut sur le côté et au son des draps froissés, il sut que cette question avait fait réagir Yuri qui devait être en train de se préparer à intervenir d’une manière ou d’une autre.

« Flynn. » répondit froidement le jeune homme, provoquant un léger rire amusé chez son interlocuteur.

« Je vois que tu me détestes. » fit le roi Thar avec un léger sourire avant de fixer son favori. « Cela me rappelle des souvenirs… »

Vu la façon dont le Nyx serrait les dents, le soldat supposa qu’il parlait de leur première rencontre… ainsi que des premiers jours de captivité de son ami – jamais ce dernier n’avait voulu en parler en détail mais il se doutait que cela avait été loin d’être agréable.

« On ne peut pas dire que vous soyez doué pour vous faire apprécier. » lança le bel éphèbe sur un ton acide.

« Vraiment ? » répliqua le souverain qui perdit son maigre sourire. « Cela se voit que tu n’as pas connu la reine Invidia ou Bérénice. »

Après avoir prononcé ces mots, le maître des lieux quitta le fauteuil qu’il occupait et marcha d’un pas vif jusque devant la grande broderie au mur représentant des femmes semant le blé. Il passa ses doigts dessus, faisant bouger celle-ci… et révélant brièvement le bas d’une alcôve qui était cachée derrière.

« Quand j’ai pris possession des lieux, j’ai personnellement examiné chaque pièce du palais. » leur expliqua le roi en attrapant fermement un morceau du tissu accroché au mur. « J’ai fais ajouter ceci par Rowen en découvrant ce que ma chère belle-mère avait osé faire… »

D’un geste, le roi Thar tira sur la broderie, l’arrachant du mur… et dévoilant la fameuse alcôve où se trouvait un autel probablement dédié à Topaze mais qui avait vraisemblablement été vandalisé, des traces de chocs étant visibles sur la pierre ainsi que sur les gemmes colorées qui étaient soient cassées, soient manquantes dans les emplacements qui étaient prévus pour elle. Il y avait aussi des morceaux de pierre plus claire qui étaient probablement les restes de la statuette représentant la déesse du foyer…

Face à cette découverte, Flynn se sentait mal à l’aise, surtout en pensant au fait que Topaze était une divinité importante en Hélios, surtout pour les femmes. Comment quelqu’un, qui plus est la reine de ce royaume, aurait pu oser commettre un tel sacrilège ?

« Je présume qu’elle a fait cela en apprenant que mon père préférait le fils qu’il avait eu d’une de ses maîtresses au harem à sa fille Bérénice pour lui succéder sur le trône. » leur exposa le souverain en reprenant place dans le fauteuil. « Cette femme a toujours détesté celles qu’elle voyait comme ses rivales… »

Pourquoi leur racontait-il cela ? Le soldat cherchait à comprendre cette bizarrerie quand, soudain, le roi lui envoya un rouleau de papyrus qu’il rattrapa au vol. Intrigué, il regarda l’objet avant de lever les yeux vers le maître des lieux qui le fixait de son regard mordoré.

« Qu’attends-tu donc ? » fit le roi Thar en haussant un sourcil, l’air agacé. « Lis-le ! Et parle de façon intelligible. »

En grinçant des dents, Flynn s’exécuta, lisant à haute voix chaque ligne. Il ne tarda pas à comprendre qu’il avait entre ses mains une liste recensant la production minière d’Hélios : Albâtre, Marbre, Granit, Rubis, Grenat… ainsi que d’autres pierres de taille ou pierres précieuses. Il ne pouvait pas dire si les quantités qu’il voyait étaient aussi élevées qu’elles lui semblaient être mais lire cela lui rappela son père qui travaillait dur dans les Dunes, tantôt dans les carrières, tantôt dans les mines, afin qu’ils puissent manger à leur faim. Il n’avait qu’une dizaine d’années quand son cher parent était mort suite à une maladie grave, le laissant seul avec sa mère qui le quitta brutalement quand il eut quatorze ans.

« Pas de surprises… » déclara le souverain, le regard dans le vague, avant de lui lancer un deuxième rouleau. « Continue ! »

Cette fois-ci, le soldat eut une liste de toutes les récoltes du pays et, ayant déjà travaillé dans les champs quand il était plus jeune, il trouvait ces chiffres faibles, une impression qui se confirma quand il repéra une annotation d’un scribe qui signalait une baisse inquiétante des réserves de céréales suite à des crues trop faibles du Neilos.

« C’est encore pire que l’année précédente. » grogna le roi Thar en regardant le contenu d’un autre rouleau.

Pendant que le souverain était occupé, Flynn reporta son attention sur Yuri et constata que le sommeil avait pris le dessus : le Nyx était allongé sur le ventre, un bras sous sa tête, et dormait paisiblement, ses longs cheveux de jais éparpillés sur le lit. A tous les coups, la lecture de ces listes l’avait endormi, ce qui n’était peut-être pas plus mal vu qu’il n’avait pas été capable de fermer l’œil de la nuit.

En jetant un coup d’œil vers les différentes portes existantes, il réalisa que cela faisait un moment que le vieux serviteur s’était absenté. Que faisait-il au juste ?

« Si tu cherches Rowen, je l’ai envoyé faire quelque chose pour moi. » déclara le maître des lieux avant de lui lancer un dernier rouleau. « Lis-le si tu y arrives. »

Se demandant pourquoi le roi lui faisait faire cela, il s’exécuta, lisant soigneusement chaque ligne de ce qui était une lettre de l’empereur Ioder de Séléné qui, visiblement, acceptait un échange commercial : contre certaines pierres précieuses, il était prêt à offrir bon nombres de fruits et de légumes afin de nourrir le peuple d’Hélios. Le dignitaire étranger avait terminé son message en souhaitant que la situation chez son voisin s’arrange.

Sa lecture finie, le soldat leva les yeux vers le roi Thar… et constata que celui-ci le fixait avec grand intérêt. Cela lui fit réaliser l’objet de ces lectures : il se faisait tester.

« Excellent niveau pour un simple soldat. » le complimenta le souverain avec un sourire en coin. « Peu de scribes au palais arrivent à lire aussi bien l’écriture de l’empereur de Séléné... »

Flynn reconnaissait que l’empereur Ioder avait une écriture assez inhabituelle mais cela restait lisible pour lui – Sodia lui avait prêté quelques récits quand ils étaient plus jeunes et certains avaient été très mal recopiés, faisant qu’il s’était habitué à devoir faire du déchiffrage. Cependant, il n’avait pas conscience qu’il avait un si bon niveau en lecture…

Un grincement se fit entendre et, en tournant la tête, ils virent entrer Rowen avec un plateau de nourriture entre les mains, suivi de Lucrèce qui, lui, avait amené avec lui une palette de scribe. Le son de la porte avait vraisemblablement réveillé Yuri, ce dernier ayant déplacé ses jambes et ayant entrouverts ses yeux.

« Ce que vous m’avez demandé votre Altesse. » déclara le favori taciturne en posant ce qu’il tenait entre ses mains à côté des rouleaux. « Vous avez encore besoin de moi ? »

« Tu peux retourner au harem. » lui répondit le souverain avant de faire signe au soldat de venir vers lui.

L’érudit s’inclina avec respect puis, après un signe de tête vers le garde, quitta la chambre de la reine. De son côté, le serviteur avait doucement achevé de réveiller le Nyx qui essayait tant bien que mal de dissimuler un bâillement tandis que Flynn s’installa avec méfiance dans le fauteuil qui lui était désigné.

« Je vais te dicter ma réponse à l’empereur de Séléné. » lui expliqua le roi Thar en lui remettant un morceau de papyrus vierge. « Elle sera brève mais tu es prié de t’appliquer. »

Même s’il était quelque peu tenté de faire des fautes, le jeune homme savait qu’il n’avait pas intérêt à saboter ce test car c’était à la fois un document destiné à une personne importante qu’il devait écrire mais aussi une occasion unique de montrer ce dont il était capable. Pour ces raisons, il se montra méticuleux en préparant soigneusement le matériel qui lui avait été fourni : il vérifia qu’il avait bien un pain de couleur noire à sa disposition ou de quoi en faire un, il aplatit avec soin le papyrus sur lequel il devait écrire, il inspecta les trois calames à sa disposition puis choisit celui qui lui semblait le mieux adapté et, enfin, il trempa son calame dans un gobelet d’eau puis le passa sur sa couleur afin de commencer à retranscrire ce qui lui était dicté.

Au début, il avait peur d’être maladroit, n’ayant pas eu l’occasion d’écrire depuis un bon moment, mais ses craintes s’estompèrent vite et son geste devint plus précis au fur et à mesure qu’il traçait les différents mots qu’il entendait. Quand il eut fini, le souverain se pencha vers lui pour relire son travail, imité par le Nyx qui semblait essayer de comprendre ce qu’il avait bien pu rater durant sa courte sieste.

« Très intéressant… » fit le roi avant de se réinstaller correctement dans son fauteuil. « C’est assez curieux que tu n’ais pas fait le même métier que ton père. »

« Comment cela ? » demanda Flynn, intrigué par cette remarque. « Jamais je n’ai mentionné ma famille… »

Il aperçut Yuri qui voulait manifestement intervenir mais Rowen l’en empêcha, lui intimant d’un geste de rester tranquille.

« Avant de monter sur le trône, j’avais un scribe qui était très travailleur et avec qui je m’entendais bien mieux qu’avec ceux que j’ai actuellement. » expliqua le souverain dont il surprit le regard mordoré s’arrêter sur son bracelet. « Il a dû quitter Aurum suite à des changements dans l’administration et j’ai perdu le contact avec lui. J’ai espéré pendant des années avoir un jour de ses nouvelles mais… »

Un soupir de dépit échappa au roi Thar dont les yeux affichaient à présent une certaine tristesse.

« Tu ressembles beaucoup à ton père Flynn. » lui déclara le souverain, le prenant de court. « Finath t’a très bien transmis son savoir. »

Le calame qu’il tenait encore dans sa main glissa entre ses doigts, tombant sur le sol de pierre dans un son creux. Sa surprise était immense : son père avait donc travaillé au palais ?

-§-

Entre cette lecture ennuyeuse et la fatigue, Yuri n’avait pas tardé à s’endormir, ne comprenant absolument pas à quoi pouvait jouer le roi Thar – il savait que ce type avait forcément une idée derrière la tête mais il était trop épuisé physiquement et moralement pour mettre le doigt dessus. Quand il fut réveillé par le retour de Rowen, il avait l’impression d’avoir manqué quelque chose d’important… et il se sentit pâlir en notant que le souverain avait tendance à beaucoup baisser les yeux sur le bracelet de Flynn.

Seulement, à aucun moment il ne s’était attendu à entendre cela : le père de son ami avait été scribe au palais, une chose que même le soldat ignorait vu l’expression qu’il affichait. Ses sens de Nyx étaient certes engourdis par la fatigue mais à première vue, ce n’était pas un mensonge…

« C’était pour savoir qui il était que vous lui demandiez tout cela. » en conclut le favori quand il constata que le garde était trop surpris pour répondre. « Par contre, rien ne pouvait vous indiquer qu’il avait transmis son savoir à son fils… »

« Et il ne travaillait pas en tant que scribe… » ajouta Flynn qui semblait plongé dans ses souvenirs. « Mais il avait toujours insisté pour que je sache tout ça. Il voulait que j’ai toutes mes chances… »

C’était assez logique : un poste de scribe demandait de savoir bien lire et écrire mais en contrepartie, cela donnait accès à beaucoup de lieux différents, notamment dans les bâtiments administratifs, et un très bon scribe pouvait toucher un excellent salaire. Seulement, la mentalité machiste dans pas mal d’endroits d’Hélios, plus particulièrement dans les temples, fermait pas mal de portes aux femmes, ce que son amie Rita avait toujours grandement regretté car elle était dans l’incapacité de postuler là où elle le désirait.

Toutefois, Yuri trouvait très étrange qu’un homme qui, manifestement, occupait une position importante lui accordant des avantages non négligeables ait choisi de changer de travail, à priori pour pourvoir un poste moins prestigieux, seulement pour les raisons évoquées. Cela mériterait qu’il y réfléchisse une fois qu’il aura dormi une heure ou deux…

« J’imagine qu’il n’est plus de ce monde. » devina le roi Thar en se levant de son fauteuil. « C’est bien dommage… »

« C’est très regrettable oui. » ajouta Rowen en récupérant les rouleaux de papyrus de son maître tout en fixant Flynn. « Je n’ai pas beaucoup connu votre père mais je me souviens qu’il était quelqu’un de très humain. J’ai cependant peur d’être le seul parmi le personnel à l’avoir connu… »

« Quelles étaient ses fonctions exactes ? » demanda le favori, concentré sur les expressions faciales du souverain. « Il vous servait juste de secrétaire ? »

A cette question, le maître des lieux haussa un sourcil, l’air un peu amusé.

« Si tu suspectes que Finath et moi avons pu être amants, tu te trompes lourdement. » répondit le roi en croisant les bras contre son torse. « Nous étions amis et il s’occupait aussi de faire des inventaires au sein du palais. »

Pas de relation romantique, c’était vrai… mais ce léger tressautement qu’il perçut au niveau de la lèvre supérieure lui indiquait qu’un mensonge s’était glissé dans ces mots, plus particulièrement dans la partie concernant le travail du père de Flynn. Vu ce qu’il avait supposé sur un certain bijou, cela vaudrait le coup de creuser…

« Ce n’était pas ce que je sous-entendais. » déclara Yuri qui perçut un certain soulagement chez son ami. « En fait, je me demandais s‘il n’avait pas déjà officié dans un temple. »

En entendant cette phrase, le regard mordoré du roi Thar s’agrandit, visiblement surpris, avant de se reposer sur le bracelet de cuir, ce qui confirma les hypothèses du favori sur l’origine de ce bijou.

« Je constate que vous vous entendez extrêmement bien tous les deux… » fit le souverain sur un ton que le Nyx n’arrivait pas à déchiffrer. « Je présume que certains secrets ont été partagés durant le temps que vous avez passé ensemble… »

Le favori grinça des dents face à cela et espéra intérieurement que le maître des lieux n’allait pas chercher à creuser pour en savoir plus. Il chercha un moyen de contourner un éventuel problème quand le soldat se leva de son fauteuil.

« Vous savez ce que c’est. » dit Flynn en levant sa main devant son visage, montrant le bracelet qu’il avait au poignet. « Depuis tout à l’heure, vous n’arrêtez pas de le regarder. »

Pendant quelques secondes, un silence pesant régna, rythmé par des yeux azur remplis d’un éclat hostile vis-à-vis du roi d’Hélios. Le regard mordoré soutint celui du jeune homme avant de glisser sur le bijou… dont la turquoise s’était mise à émettre une faible lumière bleutée. Qu’est-ce que…

« Cela fait longtemps. » déclara la mystérieuse divinité, surprenant presque tout le monde dans la pièce. « La dernière fois, c’était il y a au moins vingt ans… »

« Oui Cyan. » lui répondit le souverain avec nostalgie. « C’est bien cela… »

-§-

Son père… Flynn se rappelait encore très bien de lui et du temps qu’il prenait chaque jour pour lui enseigner ce qu’il savait. Il se souvenait encore des leçons d’écriture qu’il lui donnait, tantôt en écrivant avec un bâton dans la poussière, tantôt sur des morceaux de papyrus que le scribe du village avait accepté de lui céder en échange de quelques services.

Quand celui-ci fut décédé, le jeune homme avait continué de s’appliquer pour lire et écrire, le tout aidé par Sodia qui avait plus facilement que lui accès à des rouleaux de papyrus et à du matériel d’écriture. Le scribe du village lui avait proposé de le prendre sous son aile mais il avait refusé, optant d’abord pour le travail aux champs avant de devenir soldat suite à un groupe de brigand qui avait attaqué certains habitants sans défense – sa mère était parmi ces derniers et elle avait été tuée ce jour-là en voulant protéger des enfants.

En entendant le roi Thar prononcer le mot « Cyan », les souvenirs vagues que Flynn gardait de certaines histoires contées par son père se précisèrent. Il se rappelait à présent que Sol et Topaze avaient eu trois fils : Aurum et Phoebus qui étaient nés avant que leur mère ne soit divinisée et étaient donc mortels, puis Cyan qui était né fragile et qui devint une divinité avec l’intervention d’Océan qui le lia au Neilos.

Cependant, impossible pour lui de se remémorer son autre fonction. Pour une raison ou une autre, celle-ci ne cessait de lui échapper…

« Cet évènement tragique a laissé des traces profondes à ce que je vois. » poursuivit Cyan de sa voix éthérée. « Tes nuits doivent être bien difficiles… »

« J’ai appris à m’en accommoder. » répondit le souverain à la divinité. « Toi à ce que je vois, tu as bien souffert… »

« Je me régénère comme je le peux mais ce n’est pas suffisant pour assurer pleinement mon rôle. Pardonne-moi mais je ne peux rester plus longtemps… »

Sur ces mots, Cyan les laissa et la lueur bleutée disparue, laissant de nouvelles questions avec elle…

Le son de quelqu’un frappant contre une porte se fit entendre, alertant Rowen qui alla voir qui était derrière. Un grognement échappa au roi face à ce visiteur et celui-ci s’éloigna un peu, mettant de la distance entre eux trois. Le serviteur revint quelques secondes plus tard.

« Votre Altesse est demandée pour une réunion avec les hauts scribes. » déclara le plus âgé. « Dois-je leur dire que vous êtes occupé ? »

« Non, ils risquent de mal le prendre et je n’ai pas besoin de cela. » répondit le roi Thar en grognant avant de fixer une tapisserie sur le mur représentant Topaze. « Dis-leur que l’on fera cette réunion dans mes appartements. Je les y attendrai. »

« Très bien. »

« Et si Raven ou Lucrèce viennent ici, dis-leur de passer par la porte commune. Elle sera ouverte de mon côté. »

Alors qu’il se demandait de quelle porte pouvait bien parler le souverain, Flynn vit ce dernier se diriger vers la tapisserie puis soulever celle-ci, dévoilant une porte en bois sculpté qui, jusqu’ici, était bien cachée. D’un signe de la main, il leur indiqua de le suivre, ce que fit le soldat après avoir aidé Yuri à se lever, et ils entrèrent dans ce qui était un étroit couloir assez sombre, tout juste assez large pour que deux personnes puissent se croiser. Ce passage ne faisait, au plus, qu’une vingtaine de mètres et, une fois au bout, ils étaient devant l’autre entrée de celui-ci où, cette fois-ci, le roi leur fit signe d’attendre.

« Quand Raven aura fait son rapport, vous pourrez retourner au harem. » leur dit le maître des lieux sur un ton assez sec. « En attendant, vous tenez vos rôles en silence tout en observant discrètement ce qu’il se passe. Pas d’improvisation et faites en sorte que personne ne voit le bracelet de Cyan. Je ne tiens pas à ce que Garista apprenne que cet objet est ici. »

A contrecœur, le jeune homme accepta, imité par le favori qui, lui, semblait plus intrigué qu’autre chose.

Arrivés dans la chambre du roi, Flynn nota que celle-ci était de même dimensions que celle de la reine avec quelques éléments de mobilier en commun. Les différences majeures entre les deux pièces étaient le bureau qui croulait sous les rouleaux de papyrus et l’autel dédié à Sol, en parfait état contrairement à celui de Topaze.

« Ca fait trois ans que je viens ici plusieurs nuits par an et c’est bien la première fois que je vois à quoi ressemble cette pièce. » ironisa un peu Yuri à voix basse, son regard anthracite balayant les lieux avec curiosité. « Je l’imaginais plus grande… »

Le soldat n’eut pas l’occasion de répondre, Rowen étant arrivé d’un pas rapide avec le vêtement en lin noir du favori ainsi que le reste de leurs affaires…

-§-

Après plusieurs heures, la fouille du harem par ses hommes n’avait pas permis à Raven de trouver qui avait bien pu user de ces fichus cactus. Il avait donc renvoyé ceux-ci à leurs postes habituels et profité que Lucrèce ait dû s’absenter pour demander à Droite d’observer discrètement les interrogatoires des serviteurs pour repérer un éventuel suspect qui aurait pu lui échapper. Manque de chance, quand l’érudit revint, ils avaient fait le tour de presque tout le personnel, Karol étant le seul qui lui restait à questionner – pour la forme, il avait demandé à la Nyx de le faire vu qu’elle n’avait aucun lien affectif avec lui mais sans surprise, le jeune adolescent n’avait rien à se reprocher, bien au contraire.

« Un orage approche. » leur fit remarquer la jeune fille dont le regard scrutait le ciel qui se couvrait de nuages gris. « Vu la vitesse du vent là-haut, il ne durera pas très longtemps… »

« Le contraire serait étonnant vu notre climat. » déclara Lucrèce avant de lâcher un soupir d’exaspération. « Mais la pluie risque de ne pas être notre alliée si l’on ne trouve pas vite qui est coupable du premier empoisonnement. »

Bien que lui et le favori taciturne n’avaient pas totalement dévoilé leurs jeux respectifs, ils avaient été d’accord pour une alliance contre Garista, faisant que le jeune homme lui révéla qu’il avait sciemment désobéi aux prêtres en laissant quelqu’un accéder aux archives des temples – la description de cette personne correspondait en tous points à cette chère Rita – tandis que l’espion lui avait présenté Droite qui s’était d’abord montrée un peu hostile avant de constater que ce nouveau venu était honnête.

« Vous avez essayé avec Repede ? » leur demanda Karol qui n’avait été mis au courant de ce qu’il se tramait que depuis peu. « Jusqu’ici, il a toujours réussi à esquiver lui-même les mets avec du poison… »

Le capitaine avait envie de se gifler pour ne pas y avoir pensé avant : les chiens avaient un meilleur odorat que les hommes mais si à Hélios ils étaient souvent cantonnés à monter la garde, c’était différent dans les Terres des Nyx où la chasse était une activité plus pratiqué que l’élevage – à tous les coups, en temps que membre du peuple de la nuit, Yuri avait dû le dresser à cette activité car il était probablement le seul animal à avoir survécu aussi longtemps au harem.

« C’est notre dernier recours. » admit l’espion qui surveillait le ciel du coin de l’œil. « Par contre, il va falloir faire vite car s’il pleut, des indices peuvent disparaitre. »

« Je vais chercher du Peyolt. » déclara Lucrèce en s’éloignant.

« Et moi Repede. » ajouta le serviteur en partant en direction de la cour des favoris.

A présent seul avec la Nyx, Raven tourna son regard vers ce qui était le bâtiment des enfants, devenu une ruine sinistre depuis ce fameux incendie qui avait tué bon nombre de maîtresses et d’enfants du précédent roi.

« Le passage secret que vous m’avez laissé ouvert est assez intéressant. » lui dit Droite qui se recula vers un recoin sombre, probablement par instinct. « Une partie semble mener à l’extérieur du palais et l’autre doit aboutir près de votre salle du trône… »

« A côté des appartements du roi pour être exact. » lui dévoila l’espion en se remémorant tout ce que le roi Thar lui avait appris sur ces nombreux passages secrets dont lui et Rowen étaient les seuls à connaître l’étendue exacte. « Ils étaient très utilisés durant le règne du précédent roi car la reine Invidia ne supportait pas les favorites de son époux, plus particulièrement Cérès, la mère de notre souverain. De cette manière, elles pouvaient quitter discrètement le harem sans être vues. »

« A condition d’avoir la clé. Je suis tombée sur une porte avec l’emblème de Topaze dessus et elle était fermée. »

Ce serait logique : dans le cas où quelqu’un découvrirait ce passage, il fallait s’assurer qu’il ne puisse pas pénétrer au sein du harem sans y être invité. Qui plus est, le bâtiment des enfants devait certainement abriter un autel dédié à la déesse vu que les concubines royales allaient y mettre leurs enfants au monde avant, si elles le désiraient, de regagner leurs appartements.

De plus, si ce passage était fermé, cela faisait un endroit de moins par lequel un groupe de Nyx pouvait s’infiltrer ici… et de ce qu’il savait, c’était le seul passage secret qui conduisait directement au harem.

Quelques minutes plus tard, Karol revint accompagné de Repede qui, après avoir jaugé Droite, l’accepta en la laissant le gratter brièvement derrière les oreilles. Lucrèce arriva un peu après avec un pot en terre cuite entre les mains.

« J’ai croisé Rowen et apparemment, le roi veut que l’on passe par le passage entre les chambres royales. » lui transmit le favori en remettant ce qu’il avait amené au jeune serviteur. « Il a gardé Yuri et Flynn avec lui. »

En apprenant cela, Raven grogna intérieurement, craignant de n’avoir pu empêcher sa jeune recrue de finir comme pensionnaire à part entière du harem – quoique vu l’attitude qu’avait eue le soldat, il était certainement très hostile à l’idée de potentiellement finir parmi les favoris du souverain.

L’érudit ouvrit le pot en terre et se baissa pour le mettre à la hauteur de Repede. Sans qu’on ne lui dise quoique ce soit, le chien en renifla soigneusement le contenu avant de lever son museau en l’air, cherchant l’odeur en question. Il baissa ensuite la tête au sol, humant celui-ci tout en se déplaçant, l’air très concentré sur sa tâche.

« Il a trouvé. » déclara Droite juste avant que Repede ne parte d’un coup, suivi par la jeune femme.

Moins réactifs que la jeune Nyx, ils partirent dans la même direction mais celle-ci ainsi que le chien étaient plus rapides, faisant qu’une fois dans la cour du bâtiment des favoris, ils les avaient tous deux perdus de vue… mais Raven eut à présent confirmation qu’il y avait quelque chose de vraiment pas clair pour que la piste du Peyolt les mènent dans cette partie du harem.

« Par ici ! » leur lança la jeune fille avant d’apparaître à l’étage. « Il a trouvé quelque chose ! »

A cause de la fouille complète des lieux ordonnée par le roi Thar, toutes les portes avaient été ouvertes et laissées ainsi jusqu’à ce que lui, le capitaine, ait jugé que le travail avait été fini. Si cela avait ennuyé les pensionnaires normaux du harem qui avaient été contraints de quitter les lieux pour la journée, cela n’avait posé aucun problème pour les favoris vu que deux n’étaient plus dans leurs quartiers, que l’un d’eux coopérait volontiers et que le dernier avait été exécuté ce matin.

Cependant, quand ils arrivèrent là où la piste de ce cactus se terminait, son sang se glaça en réalisant ce vers quoi elle pointait… et lui fit comprendre que Garista avait peut-être bien plus facilement accès au harem qu’il ne l’avait imaginé.


NB : Normalement, je devais faire plus de choses dans ce chapitre mais certains morceaux ont été si longs que j’ai tout décalé… Le rating M devrait se justifier vers la Partie 7 ou 8 si ça ne se décale pas de nouveau.

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Kaleiya Hitsumei

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