Soleil de Minuit - Partie 1
Sep. 25th, 2015 04:37 pm![[personal profile]](https://www.dreamwidth.org/img/silk/identity/user.png)
Auteur : Kaleiya Hitsumei
Beta : Eliandre
Titre : Soleil de minuit
Genre : AU, Mystery, Romance.
Rating : M
Pairings : Hmm… J'ai décidé de vous laisser la surprise finalement. C'est plus amusant ainsi.
Note: Idée qui m'obsédait depuis un moment, surtout quand j'ai repensé au Scorpion du Nil. Cependant, l'histoire se passe dans un monde imaginaire donc si je me suis grandement inspirée de l'Egypte pour Hélios, vous verrez vite que ce n'est pas le cas pour Séléné.
Playlist :
Kamelot – Kismet
Kamelot – Nights of Arabia
Luca Turilli – Silver Moon
Battle Beast – Touch in the night
Soleil de Minuit – Partie 1
Le soleil était haut dans le ciel, frappant de ses rayons ardents la terre desséchée depuis déjà plusieurs années d'Hélios, royaume qui vénérait l'astre solaire. Auparavant, le sol était plus riche, la végétation plus présente et l'eau moins rare. Mais cela changea lors du couronnement du roi Thar, surnommé « le roi fou » par son peuple. L'année de sa consécration, plusieurs faits étranges se produisirent : la mort subite de sa sœur suite à une morsure de serpent, la disparition de son frère, la pluie qui tombait habituellement environ trente jours par an n'apparut que pendant dix jours à peine, l'assèchement soudain de plusieurs points d'eau qui condamna des villages entiers. Les seuls lieux qui furent à peu près épargnés étaient la capitale Aurum et les villages au bord du grand fleuve Neilos.
La vie du peuple devenant de plus en plus difficile, beaucoup supposèrent que le dieu soleil était en colère contre leur souverain et des révoltes éclatèrent. Cependant, aucune n'aboutit et les rebelles furent pratiquement tous exécutés les uns après les autres. La dernière rébellion eut lieu trois ans auparavant, dans un petit village qui fut rasé par l'armée quelques jours après que le chef de l'insurrection se soit rendu.
Aujourd'hui, plus personne n'osait vraiment s'opposer au roi fou. Les derniers espoirs de changement résidaient en la mort du souverain qui n'avait pas d'héritier et dans une intervention de l'empire de Séléné, situé au-delà de la rive ouest du fleuve Neilos et dont la frontière était en grande partie matérialisée par le cours du fleuve sauvage dont les eaux tourbillonnantes et capricieuses ont dissuadé quiconque de s'installer trop près de celui-ci. Seulement, personne ne croyait que le souverain serait assez imprudent pour ne pas laisser de descendance et Séléné n'était pas un pays adepte de la guerre.
La situation n'irait pas en s'arrangeant si personne ne tentait de comprendre ce qui n'allait pas en Hélios. Elle le savait très bien et c'était pour cela qu'elle et son amie Judith étaient près du fleuve sauvage, à la portion la plus dangereuse de celui-ci mais aussi la seule où il leur était possible de traverser sans passer par le poste de garde.
« N'oublie pas Rita. Tu as peu de temps pour traverser avant que Charybde ne recrache les eaux qu'elle a avalé. » lui rappela la jeune femme aux cheveux bleus.
« Je sais. Si je me rate, soit je finis noyée, soit je rencontre Scylla. »
Charybde et Scylla… Un gouffre qui avalait puis recrachait l'eau, laissant pendant un temps un passage possible pour traverser le fleuve sauvage mais qui, si l'on ne le franchissait pas assez vite, pouvait noyer quiconque sur son passage ou l'envoyer droit sur des rochers aussi pointus que des aiguilles et sur lesquels il était facile de finir empalé puis noyé sous les eaux qui les recouvraient lorsque le cours d'eau était à son plus haut niveau.
« Tiens-toi prête. »
De ses yeux verts, Rita voyait à présent le niveau baisser, révélant de gros rochers plus ou moins plats qui formaient comme un chemin jusqu'à la rive verdoyante de Séléné. Cependant, elle pouvait aussi bien distinguer les restes des pauvres malheureux qui avaient échoué, leurs corps plus ou moins décomposés étant restés piégés dans les griffes rocailleuses de Scylla.
Bien que la vision soit des plus désagréables, elle savait qu'elle devait impérativement réussir à rejoindre l'autre rive…
« Vas-y ! »
La jeune fille sauta dans le lit du fleuve, se hâtant de mettre le pied sur le premier rocher tandis que Charybde avalait les quelques centimètres d'eau qu'il restait. Elle pouvait encore rebrousser chemin si elle le voulait, les rochers s'avérant plus glissants qu'elle ne l'aurait cru, mais son instinct lui disait que plus elle tarderait à aller voir le devin lunaire, plus la vie en Hélios irait en se dégradant. Elle avait atteint le milieu du passage quand Charybde, ayant ingurgité toute l'eau présente, commençait à émettre une sorte de gargouillis sourd, l'incitant à accélérer l'allure.
Puis quand elle atteignit l'avant-dernier rocher, elle eut comme un mauvais pressentiment en réalisant que ce gouffre gourmand n'émettait plus aucun son…
Elle eut tout juste le temps de sauter sur la dernière pierre quand un grondement de plus en plus fort retentit, lui confirmant ce qu'elle craignait : Charybde allait recracher son eau et, vu la hauteur entre elle et la rive de Séléné, elle n'aurait jamais le temps de grimper pour se mettre à l'abri.
La branche basse d'un arbre attira son attention mais, en sautant, elle savait qu'elle ne pourrait jamais l'atteindre. Cependant, elle avait toujours son fouet accroché à sa taille et qui, actuellement, était son seul salut. La lanière de cuir attrapa la branche, s'enroulant solidement autour d'elle et permettant ainsi à Rita de pouvoir commencer à grimper le mur lisse et rocailleux qui lui faisait face.
A peine eut-elle posé une main sur le sol fertile de Sélène que Charybde recracha son eau avec force. De justesse, elle parvint à échapper à la déferlante qui avait faillit l'emporter mais y laissa sa chaussure gauche, cette dernière ayant glissé de son pied quand elle fut touchée par la vague. C'était une perte un peu gênante mais cela aurait pu être pire.
« Rita ! »
« Je vais bien ! »
Judith hocha la tête à sa réponse. A présent, il était temps pour elle de trouver le devin lunaire et à son amie de garder un œil sur la situation et, si possible, savoir si qui elle savait était libérable…
-§-
Aux portes du palais royal à Aurum, Flynn était un peu nerveux. Le capitaine Schwann lui avait dit qu'il lui donnerait une nouvelle affectation plus adaptée à ses talents alors que cela ne devait faire qu'une simple semaine qu'il avait été mis en poste à la capitale. Il avait été muté depuis le poste-frontière entre Hélios et Séléné sur la demande de son supérieur direct après seulement deux semaines de service là-bas. Ce n'était pas plus mal dans un sens car l'atmosphère était quelque peu étrange là-bas, les plus anciens en poste à cet endroit ayant la curieuse manie de se méfier de la moindre feuille tombant d'un des arbres du pays voisin, comme si quelque chose risquait de leur arriver à ce moment précis. Le fleuve lui avait pourtant semblé être la plus grande source de danger, son cours tumultueux étant encadré d'un côté par la ligne d'arbres de Séléné et de l'autre par les Dunes, collines en grande partie rocailleuses qui séparaient le fleuve sauvage du fleuve Neilos.
« C'est déjà la troisième fois en un mois que l'on te change de poste. » lui fit remarquer Sodia.
« Oui mais cette fois, je serais affecté au palais royal. » répliqua-t-il avec une légère tristesse en la regardant. « Ce qui veut dire que tu ne pourras pas venir. »
La jeune rousse lui fit un léger sourire en le fixant de ses yeux violine.
« J'attendrai au village que tu ais une permission ou que tu trouves le temps d'écrire. »
Le jeune homme esquissa un sourire à cette phrase. Lui et la jeune femme se connaissaient depuis leur enfance, lui simple fils de paysan et elle fille d'un membre de la petite noblesse qui s'était retiré loin de la capitale pour goûter au calme de leur modeste hameau. A présent que ses parents étaient morts, Flynn n'avait plus qu'elle comme attache et il s'en voulait un peu de la laisser en arrière cette fois-ci, simplement à cause du fait que les femmes étaient interdites au palais royal.
« Ah ! Les amours de jeunesse ! »
Surpris, il se tourna rapidement et découvrit le capitaine Schwann, un sourire espiègle aux lèvres, qui le regardait de son œil visible, le second étant caché par une mèche de ses cheveux noirs.
« Je devrais peut-être y aller à présent… » fit Sodia, ses joues un peu rougies par la gêne. « Si je tarde trop, il fera nuit quand j'attiendrai le village. »
« La lune sera pleine ce soir donc vous n'aurez rien à craindre des Nyx. » dit le capitaine sur un ton plus sérieux.
Les Nyx… Cela faisait longtemps que plus personne n'en avait vu mais les voyages de nuits étaient toujours peu recommandés, surtout lors de la nouvelle lune. Ce peuple vénérant l'obscurité avait été exterminé il y a une vingtaine d'années afin de faire cesser une bonne fois pour toutes les attaques nocturnes contre les habitants d'Hélios. Certaines rumeurs racontaient qu'il y en aurait encore qui se cachaient dans les dents de Cerbère, une chaîne de montagnes qui se situait au sud d'Hélios et de Séléné. Seulement, le jeune homme doutait quelque peu de leur véracité.
« Je sais me défendre si nécessaire. » précisa la jeune femme à l'attention du plus âgé avant de se tourner vers lui. « Porte-toi bien. »
« Toi aussi. » lui répondit Flynn, un léger sourire aux lèvres.
Elle lui fit un signe de la main avant de s'éloigner, remettant au passage en place la natte rousse qu'elle portait sur le côté. Il la regarda encore quelques instants avant de se tourner vers son supérieur qui l'observait de ses yeux bleus avec un air amusé et nostalgique à la fois.
« Qu'elles sont loin mes belles années… » soupira-t-il avant de se reprendre. « Mais revenons-en à nos affaires. Suis-moi. »
Le jeune homme s'exécuta, suivant le capitaine à l'intérieur du palais.
« Je sais que c'est un peu précipité comme mutation mais je ne m'étais pas attendu à ce qu'il parvienne à se débarrasser aussi vite de celui qui t'a précédé à ce poste. Il est épuisant à faire ça sans arrêt et j'ose espérer que tu tiendras le coup plus de deux semaines… »
S'il se fiait à ce que lui disait le capitaine Schwann, il allait servir de garde du corps à une personne… Mais qui, à part le roi, en aurait besoin au palais ?
« T'es un peu jeune pour travailler comme garde dans le harem mais je n'ai plus vraiment le choix avec lui… »
Le harem… Flynn ne put s'empêcher de grimacer à la mention de ce lieu. Dans son village, il ne connaissait personne qui y était entré mais les rumeurs couraient que si on plaisait suffisamment à son Altesse, on avait la possibilité d'entrer dans ce lieu et d'y vivre une vie facile… en échange de quelques faveurs bien particulières. Ces hommes étaient considérés comme des prostitués de luxe réservés à l'usage exclusif de sa Majesté.
« Actuellement, parmi les trente deux pensionnaires, il y a quatre favoris qui vivent dans cette partie-ci. Tu seras chargé de la protection de l'un d'eux à l'intérieur et en dehors du harem… Bien que j'admette que celui-là est un cas assez… particulier.»
Garde du corps de l'un des favoris du roi ? A quoi cela pouvait rimer ? Quels risques pouvaient bien encourir ces hommes qui ont pour unique rôle de satisfaire les désirs charnels du roi ?
Ils étaient à présent devant une double porte en bois massif dont le battant gauche comportait un judas en or. Le capitaine toqua deux fois puis, après une légère attente, le judas s'ouvrit.
« J'amène le nouveau. »
Après cette phrase, le battant gauche s'ouvrit, révélant un garde qui leur fit signe d'entrer. En s'avançant, Flynn put constater qu'ils étaient dans un couloir de quelques mètres de longueur qui menait à une porte similaire et dont il pouvait voir briller les trois verrous dorés.
« Comme tu peux le voir, le harem est un peu à part du reste du palais. Il est divisé en trois parties mais seules deux sont vraiment pleinement utilisées depuis qu'il n'y a plus de femmes. »
Le garde leur ouvrit la seconde porte et ils pénétrèrent dans ce qui était une immense cour composée d'une grande fontaine près de laquelle de jeunes hommes peu vêtus – certains étaient même totalement dénudés – se prélassaient, lisant un livre ou se faisant dorer au soleil sur les dalles de pierre blanche qui entouraient cette source d'eau, d'un vaste bassin où certains s'y baignaient allègrement, d'une bande d'herbe surplombée de palmiers qui offraient un coin d'ombre agréable par ces températures et d'autres, plus hauts, qui étaient parsemées le long de la cour.
Un grand bâtiment se trouvait sur la gauche et plusieurs personnes y faisaient des allers-retours. Cependant, le capitaine alla droit devant, restant sur le chemin pavé encadré de colonnes de pierre et couvert d'un plafond sur lequel étaient visibles des mosaïques représentant le voyage de l'astre solaire à travers le ciel. En regardant à droite, Flynn vit un autre bâtiment mais, face aux grilles de métal qui en fermaient l'accès et à l'absence totale de vie qui y régnait, il en conclut qu'il devait être à l'abandon.
Quand ils furent arrivés au bout du passage, un portail en or massif leur barrait la route et, derrière celui-ci, se trouvait un troisième bâtiment dont les extérieurs attenants étaient richement décorés, possédant une fontaine surmontée d'une sculpture de poissons, un immense bassin au pourtour en carrelage bleu ciel, un sol entièrement recouvert d'une pelouse bien verte, un espace ombragé avec diverses plantes aux fleurs colorées…
« Ici sont logés les favoris. Sache d'abord que les résidents du harem portent tous un tatouage représentant un soleil à l'avant-bras gauche. » lui expliqua son supérieur tandis qu'un garde vint pour leur ouvrir. « Pour ce qui est des favoris du roi, ils en possèdent un second en bas du dos symbolisant un œil et, généralement, ils doivent porter une chevalière avec ce signe. Sauf une exception, ce sont les seuls qui peuvent aller librement dans le harem et certaines parties du palais. »
Le jeune soldat put constater, une fois qu'ils eurent passé le portail, la différence d'ambiance avec l'autre partie du harem : les favoris étaient entourés de serviteurs et d'au moins deux gardes chacun. Seuls trois d'entre eux étaient visibles mais il était aisé de voir qu'ils étaient richement vêtus, certains d'habits somptueux faits d'étoffes chères et colorées, d'autres de bijoux précieux qu'ils devaient bien avoir du mal à porter vu la quantité qu'ils avaient sur eux. Tous avaient une attitude hautaine, regardant de haut les soldats et le personnel du palais, cela comme s'ils étaient les souverains de ces lieux et que tout leur était dû.
Alors que Flynn fronçait les sourcils face à ce constat, l'un des favoris, initialement occupée à se faire éventer par un serviteur, reçut en plein visage une motte de terre, ce qu'il ne sembla guère apprécier vu son expression furibonde et les exclamations de colère qu'il poussa envers le personnel l'entourant. Un peu plus loin, le soldat repéra une personne se détachant du lot, probablement l'envoyeur de ce projectile qui avait l'air de savourer le spectacle devant ses yeux. Ce personnage était un jeune homme qui devait être du même âge que lui, possédant un regard anthracite qui ressortait sur sa peau claire, de longs cheveux bruns tombant en cascade sur ses épaules et simplement vêtu d'un ensemble en lin noir qui le différenciait de toutes les autres personnes présentes.
C'est en voyant la chevalière en or à sa main gauche qu'il comprit que cet individu était le quatrième favori, manifestement très différent des trois autres autant par son attitude que par son apparence.
« Sale bouseux ! » s'exclama celui qui avait reçu le projectile au visage. « Tu mériterais d'avoir la tête coupée pour ça ! »
« Et dire que je voulais juste t'aider à te maquiller pour ce soir. » répliqua le jeune homme aux longs cheveux bruns sur un ton ironique. « Avec le temps que tu perds devant ton miroir, je suis toujours étonné que tu n'ais pas encore tenté de t'accoupler avec ton reflet. »
« On se calme par ici ! » ordonna le capitaine Schwann en frappant dans ses mains avant de faire signe au quatrième favori de venir vers lui. « Yuri, j'ai quelqu'un à te présenter. »
Le dénommé Yuri se tourna vers eux et son regard anthracite s'arrêta sur Flynn, le détaillant brièvement de bas en haut. Puis il poussa un soupir d'agacement avant de s'exécuter en croisant les bras contre son torse.
« Je peux me passer de nounou le vieux donc tu peux le renvoyer d'où il vient. » fit le favori sur un ton blasé.
« La règle pour toi est que tu dois avoir au moins un garde qui te suis dans chacun de tes déplacements, que tu le veuilles ou non. » contra le capitaine sur un ton ferme. « Tu peux essayer à nouveau d'en changer mais je t'en trouverai un autre, comme à chaque fois. »
Le jeune homme aux longs cheveux bruns grinça des dents à cette remarque puis fixa de nouveau le jeune soldat, cette fois-ci l'air dubitatif.
« Tu l'as pris au berceau celui-là ? J'ai du mal à dire s'il a encore besoin d'un hochet ou non… » déclara Yuri en posant une main sur ses hanches tout en se penchant légèrement en avant. « Faut vraiment chercher pour voir s'il a du duvet au menton. »
Bien que ces remarques ne lui plaisaient absolument pas, Flynn se retint de répliquer, se mordant la langue pour éviter d'ouvrir la bouche et révéler le fond de sa pensée. Il espérait intérieurement que le jeune homme en avait fini avec lui mais, en le voyant commencer à lui tourner autour, il comprit que ce manège était loin d'être terminé.
« Ce type est vraiment un soldat ? On dirait un gamin à qui on a collé un pagne blanc et rouge ainsi qu'une armure… » poursuivit le favori en se replaçant face au blond avant d'esquisser un geste dans la direction de ce dernier.
« Pour votre gouverne, j'ai parfaitement l'âge requis pour porter cette tenue, que cela vous plaise ou non. » finit par répliquer Flynn en repoussant la main de Yuri avant qu'elle ne le touche à l'épaule.
« Ah ! Je commençais à me demander s'il avait une langue ou si elle lui avait été coupée à la naissance. »
Face au sourire satisfait du favori, le soldat se maudit intérieurement, réalisant qu'il venait de répondre aux provocations dont il était victime. Il venait de faire exactement ce que celui aux longs cheveux bruns espérait.
« Bon, maintenant que chacun a bien vu à qui il avait affaire, je fais les présentations. » fit le capitaine en lâchant un léger soupir de dépit. « Yuri, voici Flynn qui sera ton nouveau garde attitré et qui, je l'espère, restera en poste plus de deux semaines car je commence à en avoir assez que tu parviennes à t'en débarrasser aussi vite. Flynn, voici Yuri, favori du roi que tu as pour mission de surveiller et de suivre dans ses moindres déplacements, sauf s'il est appelé pour satisfaire les désirs de son Altesse. J'ajouterai que, sur ordre du roi et étant donné son statut assez spécial, ce cher Yuri n'a pas le droit de sortir du harem s'il n'est pas accompagné par toi ou par moi. »
Les deux jeunes hommes se toisaient du regard, l'un avec un amusement qu'il ne cherchait pas à dissimuler et l'autre avec agacement en pensant qu'il allait devoir travailler dans un lieu qu'il détestait déjà par avance. Une certaine tension commençait à se créer entre eux, ce qui, pour le capitaine Schwann, ne présageait rien de bon pour l'avenir.
« Enchanté, Flinnie. » lança le favori sur un ton provocateur en tendant sa main.
« Moi de même, Yuri. » répliqua le soldat avec fermeté en essayant d'écraser la main de celui face à lui, ce que ce dernier imita sans sourciller.
« Bien… Son Altesse souhaite dîner avec ses favoris ce soir donc je vous reverrais à ce moment-là. » déclara le capitaine qui, au vu de l'absence de réaction de ses cadets, en conclut qu'il n'avait probablement pas été écouté.
Tandis que le plus âgé s'en alla dans un soupir dépité, les deux jeunes hommes continuaient de jauger l'autre du regard, chacun essayant de déterminer tout ce dont il pouvait s'attendre de la part de celui en face.
« Suis-moi. » finit par dire Yuri avec un signe de tête vers le bâtiment. « Que tu saches au moins où tu vas dormir à partir de cette nuit. »
Avec une certaine réticence, Flynn s'exécuta, emboîtant le pas de celui dont il avait à présent la charge. Les autres personnes présentes ne semblèrent guère s'intéresser à eux si l'on exceptait les regards noirs des autres favoris envers leur homologue.
« Il y a deux étages comme tu peux le voir mais la majorité des chambres existantes ne sont pas occupées. » lui expliqua celui aux longs cheveux bruns en montant l'escalier de pierre blanche menant au niveau supérieur. « Au rez-de-chaussée, il y a les bains ainsi que les cuisines de cette partie du harem et quelques chambres. Une seule est occupée par un favori – l'autre abruti qui aime qu'on brasse de l'air pour lui – et les autres servent principalement à loger les serviteurs ou à entreposer les biens matériels des chouchous du roi. »
Le soldat perçut clairement le mépris dans la voix du jeune homme mais il n'y porta que peu d'attention, estimant que cela n'avait rien à voir avec son travail.
« Concernant l'étage, la chambre la plus près de l'escalier est celle de l'arc-en-ciel vivant que tu peux voir en train de se noyer vainement dans une coupe de vin. » continua le favori en désignant d'un geste évasif un homme d'une trentaine d'années vêtu d'habits très colorés et qui houspillait un serviteur tenant une ombrelle blanche au dessus de sa tête. « A droite, c'est celui qui n'est jamais content qui loge ici avec ses deux gardes suite à un incident avec le brasseur d'air au sujet de son oiseau qui est mort il y a six mois plus tôt. »
Ils continuèrent leur route jusqu'à arriver au bout de l'étage, face à la toute dernière chambre qui était fermée, comme toutes les autres, par une porte en bois sombre.
« Et voici ma chambre. » déclara Yuri en ouvrant le panneau de bois. « Je t'aurais bien laissé mon lit mais la dernière fois que j'ai fait cela, l'arc-en-ciel est allé se plaindre et le garde que j'avais à l'époque a été fouetté dans la cour avant d'être renvoyé. On te fera une place de toute façon, comme pour tes prédécesseurs… »
L'emploi du mot « on » intrigua Flynn qui ne comprit sa raison d'être qu'une fois qu'il eut pénétré dans la pièce : en plus du somptueux lit à baldaquins bleu nuit qui trônait dans la chambre, il y avait deux paillasses et un panier en osier. Sur une des paillasses, un jeune adolescent aux cheveux châtain quelque peu rebelles était occupé à raccommoder un vêtement aux teintes sombres tandis que, l'observant de son œil unique, un chien borgne au pelage bleu et blanc se tenait à ses côtés. En voyant sa tenue en lin beige, sa ceinture de tissu marron et l'absence de sandales aux pieds, il était aisé de deviner que ce garçon était un serviteur, vêtu de sorte à passer inaperçu aux yeux de ses maîtres et à se fondre aisément dans le décor.
« J'suis revenu ! » s'exclama le favori en s'asseyant brutalement sur le lit. « Et on a une nouvelle nounou. »
Le soldat se retint de grogner à cette remarque tandis que le garçon leva la tête vers lui, le regardant de ses yeux marron avec surprise et curiosité.
« Déjà ? Mais je… Euh… » bafouilla le cadet avant de se lever précipitamment, imité par le chien. « Je suis Karol et je suis au serv… »
« Je ne t'ai obligé en rien à rester et tu es libre de partir quand tu veux donc tu n'es pas réellement à mon service. » le coupa Yuri de façon brutale.
« Tu n'es pas forcé de me le rappeler à chaque fois ! Et puis j'ai nulle part où aller excepté ici ! »
Flynn resta quelque peu interdit en constatant cette absence de relation maître et serviteur entre le favori et le garçon. La nature de leurs échanges était plutôt celle entre deux frères ou deux amis, ce qui tranchait radicalement avec ce qu'il avait pu voir jusqu'ici dans le harem. Quand il sentit quelque chose d'humide contre ses doigts, il baissa son regard azur pour constater que le chien était face à lui, le fixant en remuant joyeusement la queue.
« Lui c'est Repede. » poursuivit le serviteur tandis que le jeune homme aux longs cheveux bruns s'était affalé paresseusement sur le lit. « Habituellement, il n'apprécie pas beaucoup les gardes qui défilent ici, des fois au point de les mordre. »
« Celui-là t'avait frappé Karol ! » s'exclama Yuri en se redressant, ses yeux fixant son cadet avec sévérité. « Et si Repede n'était pas intervenu, je ne sais pas dans quel état je t'aurais retrouvé. »
L'animal aboya d'un air approbateur, posant son œil sur le plus jeune avant de le tourner de nouveau vers le soldat. Ce dernier décida de s'accroupir face au chien et lui tendit la main, geste auquel le canidé répondit à l'identique avec sa patte.
« Ravi de te connaître Repede. » déclara Flynn avec un léger sourire. « Moi c'est Flynn. »
En réponse, le soldat eut droit à un coup de langue affectueux au visage, ce à quoi il répliqua par une caresse derrière les oreilles du canidé.
« On dirait que t'es apte à rester parmi nous. » lança Yuri en se mettant à plat ventre sur le lit avec les jambes pliées, dévoilant ses jambes finement musclées. « Peut-être que tu arriveras à survivre ici… »
« Je ne vois pas pourquoi il en serait autrement. » répliqua le soldat un peu sèchement en fronçant légèrement le nez. « Ce n'est pas comme si le harem était un champ de bataille. »
« Vraiment ? »
L'expression du visage du favori devint instantanément froide, celui-ci n'ayant manifestement pas apprécié ce qu'il venait d'entendre. Il quitta le matelas tandis que son garde se releva puis il vint se poster face à lui, le fixant droit dans les yeux.
« Pour avoir un mépris pareil envers cet endroit, c'est que tu ne viens pas de la capitale. » fit Yuri avec un rictus quelque peu mauvais. « Crois-moi ou non mais je suis certain que tu vas réviser très vite ton opinion, Flinnie. »
Juste après, le favori le frappa avec force dans le bras gauche, arrachant au soldat un gémissement à la fois de surprise et de douleur, puis sortit de la chambre d'un pas rapide.
« On va aux bains avant que les trois autres abrutis ne les monopolisent ! » s'exclama le jeune homme vêtu de noir alors que Karol puis Flynn se dépêchaient de le suivre. « Saleté de dîner… »
L'allure vive de Yuri les amena rapidement aux bains, reconnaissables à leurs doubles portes sur lesquelles étaient gravées des poissons. Ils les passèrent et entrèrent dans une salle fraîche et humide où, pour compenser le peu de lumière que les ouvertures laissaient passer, des bougies étaient allumées dans quelques niches et, par un savant système de miroirs, la lueur du soleil était amplifiée. La pièce en elle-même était composée de deux bassins, carrelée de blanc aux murs et de gris au sol. Des jarres et des pots d'onguents étaient à la disposition ainsi que des serviteurs visiblement dédiés à ce lieu.
Sans aucune pudeur, le favori ôta ses habits, les laissant tomber au sol avant de les écarter brutalement sur le côté avec son pied. De là où il se trouvait, le garde voyait très bien les longues jambes finement musclées, le fessier visiblement bien ferme et le dos grandement caché par cette longue chevelure sombre, ne laissant voir que le creux des reins, là où se trouvait le tatouage d'œil porté par les favoris du roi. Celui qui apercevait le jeune homme ainsi pour la première fois pouvait aisément le confondre avec une femme face à sa silhouette androgyne.
Tandis qu'il se glissa dans l'eau d'un des bassins, le jeune serviteur alla prendre une jarre qui devait être aussi grande que lui – le soldat esquissa un geste pour aller l'aider mais constata rapidement que son cadet avait assez de force pour la porter seul. Ensuite, il versa son contenu sur la tête du favori.
« Tu devrais venir aussi tu sais. » dit celui aux longs cheveux sombres en se tournant vers celui aux yeux azur. « Il y a assez de place pour deux. »
Un silence répondit à cette invitation, faisant soupirer d'agacement le favori du roi qui reporta son attention sur sa toilette.
Il faut dire que la mission qui avait été confiée à Flynn était de surveiller Yuri, pas d'être à son service. Il se devait donc de le tenir à l'œil, même s'il était contraint de le regarder se nettoyer de la tête aux pieds avec l'aide de Karol. Cependant, lorsque le serviteur commençait à lui laver sa longue chevelure sombre, le soldat crut apercevoir une marque sur le haut du dos du favori. Il pensa l'avoir imaginée puis son regard azur croisa les yeux anthracite de Yuri… et celui-ci, une fois ses cheveux noirs rincés, renoua le contact visuel tout en restant dos au soldat avant de dévoiler l'arrière de sa nuque, révélant ainsi un tatouage représentant un scorpion.
A cet instant, le jeune homme aux cheveux d'or compris pourquoi le quatrième favori n'était pas autorisé à se déplacer seul : il était un prisonnier. Normalement, il devrait se trouver en cellule ou être exécuté mais, pour une raison ou une autre, il était entré au harem, probablement parce qu'il avait plu au roi.
Sa toilette terminée et ne souhaitant pas s'attarder plus longtemps, Yuri se hâta de sortir de l'eau puis de se sécher avant d'essorer autant que possible sa longue chevelure sombre. Flynn était lui aussi pressé de quitter cette pièce quand il remarqua que Karol était allé voir les autres serviteurs. Au bout d'une minute, que le favori utilisa pour enfiler un pagne de lin blanc, le plus jeune revint avec une cuvette et des flacons contenant probablement des onguents.
« Prends une des jarres avec toi. » déclara Yuri en peignant ses cheveux avec ses doigts. « Vu que tu ne veux pas te laver ici, il faudra bien que tu le fasses quelque part. »
« Cet endroit n'est pas conçu pour que quelqu'un comme moi l'utilise. » s'expliqua Flynn en allant prendre la jarre la plus proche.
« Alors on a qu'à échanger nos places. Ça permettra peut-être de virer ce qui est coincé dans ton… »
« YURI ! » coupa Karol, les joues légèrement rosies. « Il vient juste d'arriver… »
« Pas une raison valable. »
Après un échange de regards noirs entre les deux plus âgés, ils quittèrent les bains et prirent la route menant à leur chambre. Devant la porte de cette dernière, un serviteur attendait, tenant entre ses mains un vêtement sombre qu'il vint poser sur le lit une fois que le battant de bois fut ouvert. Il repartit ensuite tandis que le regard du favori se posa sur la tenue, détaillant chaque partie de ce qui était vraisemblablement un jupon de lin noir accompagné d'une tunique sur laquelle avait été cousue des dizaines et des dizaines de petites perles noires qui brillaient légèrement à la lumière ainsi que des petites perles d'argent, bien plus rares sur le vêtement mais qui avait un éclat intense, comme des étoiles dans un ciel nocturne.
« Je préfèrerai de loin aller dîner avec juste le pagne… » marmonna Yuri en secouant sa chevelure humide. « Je n'ose imaginer le prix de cette chose… »
Si Karol lui fit la morale concernant le fait qu'il allait être en présence du roi et de plusieurs personnalités importantes du palais, Flynn observait la scène d'un œil tout en enlevant son armure de cuir avant de commencer à se nettoyer le visage, ôtant ainsi la poussière qui était présente sur sa peau. Il prenait soin de ne pas en mettre sur le bracelet qu'il portait, cadeau de son défunt père et qui était composé d'une lanière de cuir et d'une pierre turquoise.
« Tu n'auras qu'à dire au vieux que j'ai mal au ventre ou un truc du genre ! » s'exclama le favori avec de grands gestes. « Je déteste quand il m'exhibe comme ça comme un trophée… »
« Tu as déjà manqué deux repas avec son Altesse. » rappela le serviteur sur un ton sévère. « Raven a dit qu'il t'y traînerait lui-même si tu lui donnais de nouveau une excuse bidon ! »
Pendant que la querelle se poursuivait, Repede vint se placer à côté du soldat et observa la scène en émettant un léger grognement. Ceci attira l'attention du jeune homme aux cheveux d'or qui se tourna vers l'animal, intrigué par sa réaction. Puis il leva les yeux vers la porte et remarqua la présence d'un serviteur qui essayait de les espionner tout en restant caché derrière le mur. Flynn s'apprêtait à se lever pour aller tirer cela au clair mais fut précédé par le chien qui, profitant que leur voyeur était concentré sur Yuri et Karol, s'avança jusqu'à l'intrus et…
« OUARGH ! » hurla l'espion quand Repede planta ses crocs dans son mollet, attirant ainsi l'attention de tous sur lui.
« Hey ! Qu'est que vous fichez ici vous ? » demanda sévèrement le jeune serviteur. « Les appartements de Narcisse sont en bas ! »
« Dites-lui de me lâchez ! »
« Alors tirez-vous d'ici et dites au brasseur d'air que s'il veut me voir, il n'a qu'à venir en personne. » ajouta le favori sur un ton sec. « Du vent ! »
Le serviteur s'éloigna, d'abord difficilement puis, dès que l'animal l'eut relâché, il partit en courant. Face à cela, Yuri poussa un soupir agacé.
« Ils ne perdent pas de temps… » souffla-t-il avant de tourner son regard anthracite vers Flynn. « Si tu veux survivre ici, tu ferais mieux de nous écouter avec Karol. On risque d'avoir assez vite de très mauvaises surprises à contrer. »
Même s'il voyait parfaitement que le favori et son serviteur étaient sérieux, le soldat ne pouvait s'empêcher d'être sceptique, se demandant quels genres de dangers pouvaient bien se terrer dans le harem. Dans le doute, il allait rester vigilant.
-§-
Si Hélios était un royaume vénérant Sol, dieu du soleil ainsi que de la lumière et du feu, Séléné était un empire dont les habitants priaient essentiellement Luna, déesse de la lune et de la nature. Ce choix s'expliquait en partie par la végétation verdoyante et luxuriante qui s'y épanouissait, faisant de ces terres un lieu riche en vie – la légende voulait que le pays devait sa flore abondante à l'union de Luna avec Océan, dieu des eaux et de la mer Azurée vénéré par les krytiens ainsi qu'époux de la déesse de la lune. Sa capitale était Tsuki, une cité prospère où l'harmonie régnait, que ce soit avec autrui ou avec l'environnement lui-même.
L'empereur était décédé l'année dernière suite à une longue maladie, laissant sa place à son jeune fils, Ioder, un garçon ayant parfaitement intégré les valeurs de son peuple et qui pouvait compter sur le soutien de sa cousine Estellise ainsi que sur celui du devin lunaire, Duke.
Si la princesse était une jeune femme souriante et pleine d'esprit, le devin, comme tous ceux ayant exercé cette fonction avant lui, était un homme mystérieux qui vivait en ermite dans un pavillon situé derrière le palais impérial et qui faisait face à un bel étang. Bien souvent, il était assis au bout du ponton surplombant cette étendue d'eau, communiant silencieusement avec Luna tout en admirant le reflet de l'astre lunaire. Beaucoup le trouvait curieux avec sa longue chevelure blanche et bouclée ainsi que ses yeux rouge sang mais peu savaient qu'il était en partie Nyx, ce qui lui donnait la capacité de voir dans l'obscurité sans pour autant être doté de leur incroyable capacité de persuasion. Il ne priait presque jamais Umbra, divinité des ténèbres, de la nuit ainsi que de la ruse, essentiellement parce qu'il avait été rejeté par les Nyx à cause de sa couleur de cheveux, ce qui l'avait poussé à s'installer à Séléné.
Cette nuit-là, les choses étaient un peu différentes. Estellise faisaient des rêves étranges et répétitifs depuis plusieurs jours, ce qui inquiétait de plus en plus Ioder. Il était allé en parler à Duke qui en avait conclu que c'était un message de la déesse de la lune à leur intention. Cependant, le déchiffrer était difficile, les songes de la princesse étant bien trop chaotiques pour qu'elle se les remémore parfaitement. Se souvenant d'une cérémonie que lui avait apprise Elucifer, son prédécesseur, le devin lunaire l'avait recherchée dans ses manuscrits et aujourd'hui était venu le moment de la mettre en pratique.
« Etes-vous prête votre Altesse ? » demanda Duke de sa voix grave et profonde.
La jeune femme, reconnaissable à ses courts cheveux roses et ses grands yeux vert d'eau, acquiesça d'un signe de tête. Pour l'occasion, elle avait revêtu un yukata blanc sur lequel avaient été peintes de belles fleurs de cerisiers, un serre-tête en argent auquel avaient été accroché des fleurs de pommier et, entre ses mains, elle tenait une fleur de lotus. A ses côtés, dans son simple kimono bordeaux et son hakama noir, le devin lunaire pouvait presque paraître quelconque en comparaison.
« Il faut que nous sachions ce que Luna veut nous dire. » déclara Estellise, sûre d'elle. « Je suis persuadée que c'est important. »
« Très bien princesse. »
Sur ces mots, Duke prit une fiole de verre et se baissa au dessus de l'étang, la remplissant avec l'eau sur laquelle se reflétait la pleine lune. Il remit ensuite le récipient à la princesse puis attrapa le shakuhachi qu'il porta à sa bouche. Il souffla dans la flute de bambou, bougeant ses doigts sur celle-ci pour en sortir les notes appropriées tandis que la jeune fille but l'eau de l'étang. Le devin se mit ensuite à bouger légèrement sa tête, permettant à d'autres sons d'être émis par l'instrument.
Soudain, le cœur de la fleur de lotus scintilla et une sorte de poussière bleutée s'en échappa, entourant progressivement Estellise. Celle-ci ferma les yeux et inspira profondément, aspirant du même coup l'air chargé de cette poudre dans ses narines. Quand elle expira, sa peau claire se mit à luire faiblement d'une lumière laiteuse, donnant ainsi l'impression qu'elle était plus blanche qu'elle ne l'était réellement. La princesse ouvrit ensuite ses yeux, leur teinte vert d'eau brillant dans la nuit.
Ce fut à cet instant que Duke posa son instrument et porta son regard sur la jeune femme, celle-ci servant à présent d'enveloppe charnelle temporaire à Luna, déesse de la lune.
« Je m'excuse d'avoir tant tardé à faire cette cérémonie. » déclara le devin lunaire en inclinant légèrement la tête.
« Ne vous excusez pas. » lui dit Luna avec douceur. « Même si j'avais compris plus tôt qu'il y avait un problème, je n'aurais pas pu vous contacter avant que la princesse n'ait atteint ses seize ans. »
« Racontez-moi. »
« J'avoue m'inquiéter pour mes frères, Sol et Umbra. Je sais que cela n'a rien d'étrange mais même Océan pense qu'il s'est passé quelque chose de très grave entre eux… »
Il fallait savoir que Sol, Umbra et Luna étaient frères et sœurs, enfants du dieu du néant qu'ils avaient tous trois emprisonné afin de sauver l'humanité et les autres dieux d'une destruction assurée. Luna, plus jeune de la fratrie, était très appréciée de ses frères mais ces derniers étaient réputés pour ne pas être capables de se supporter, raison pour laquelle Umbra s'était exilé dans le ciel nocturne. L'une de leurs querelles les plus connues fut lors de l'anniversaire de la déesse : sa sœur étant timide, Sol lui avait offert un peu de sa lumière afin qu'elle puisse elle aussi briller dans la voûte céleste mais Umbra, lui, avait dérobé une partie de la lumière de son frère afin d'éclairer le ciel nocturne de millions d'étoiles pour sublimer la beauté de sa sœur. Le dieu solaire en tenait encore rigueur à son frère mais, de mémoire, Duke ne se souvenait pas avoir entendu dire qu'Umbra s'entendait bien avec les autres dieux…
« Océan et moi avons ressenti une rage immense émaner d'Hélios. » poursuivit Luna dont les yeux étincelants fixaient le devin lunaire. « Sol n'a jamais été aussi en colère et c'est son pays qui est en train d'en subir les conséquences. J'ai essayé de demander à Umbra s'il savait quelque chose mais il refuse de me parler. Mon époux a essayé de parler à Topaze mais mon frère aîné ne l'a pas laissé faire. Si cette situation perdure, le royaume d'Hélios va disparaître. »
« J'ai effectivement entendu des rumeurs disant que le dieu soleil était devenu bien plus sévère ces dernières années. » fit Duke, la mine sombre.
« C'est fort possible. Océan et moi n'avons que peu d'influence sur Hélios mais nous souhaitons comprendre les raisons de Sol pour infliger un tel châtiment à ce peuple et je ne suis pas certaine qu'Umbra soit à blâmer. »
« Je ne possède guère les moyens d'élucider ce mystère mais je ferai de mon mieux pour cela. »
« Merci à vous. »
Sur cette phrase, Luna quitta le corps de la princesse sous la forme de la poussière bleutée et disparut dans l'air. Estellise, à nouveau maîtresse de son corps, laissa couler une larme le long de sa joue.
« Elle était si triste… » dit-elle en regardant le disque lunaire avec mélancolie. « Que faire pour l'aider ? »
« Ce ne sera pas évident votre Altesse. » déclara Duke, l'air pensif. « Il nous sera difficile d'aller en Hélios sans mettre votre sécurité en péril, ce que votre cousin pensera aussi. »
« Peut-être… pourrions-nous y aller en douce ? »
« Vous autant que moi n'y passerons pas inaperçus. De plus, je ne peux me permettre de quitter cet endroit trop longtemps. L'idéal serait… »
Soudain, un cri retentit dans la forêt. Tous deux se tournèrent vers le côté gauche de l'étang, là d'où venait le son qu'ils venaient d'entendre et où, plus loin, se trouvait le fleuve sauvage, frontière naturelle entre Hélios et Séléné.
« Qu'est-ce que c'était ? » demanda la princesse, inquiète.
« Nous allons bientôt le savoir. » répondit Duke en prenant en main son kagura suzu, un instrument composé de multiples cloches.
Le devin lunaire se leva et pointa son kagura suzu vers la forêt puis, dans un geste souple du poignet, il le fit retentir à trois reprises. Un silence de quelques secondes se fit avant que, soudainement, les arbres ne s'écartent, laissant ainsi passer deux énormes lianes qui enserraient une jeune fille aux cheveux châtain, apparemment inconsciente. La végétation vint poser l'adolescente avec délicatesse sur le ponton de bois puis retourna d'où elle venait, laissant ensuite la forêt reprendre sa forme d'origine.
La princesse vint s'installer près de leur mystérieuse invitée, la regardant avec curiosité – il faut dire que cette tunique rouge et noire n'était pas vraiment dans le style vestimentaire des habitants de Séléné.
« Qui est-ce ? » demanda Estellise, visiblement très intriguée. « Elle ne semble pas être d'ici. »
« Comme j'allais vous le dire votre Altesse, l'idéal pour nous serait de faire venir ici quelqu'un d'Hélios. » répondit Duke en reposant son instrument. « Il semblerait que cela soit fait. »
-§-
A Hélios, le dîner avec le roi avait dû être annulé à la dernière minute, celui-ci ayant apparemment une affaire urgente à régler. Si les favoris s'étaient plaints d'avoir fait tant de préparatifs pour rien, Yuri, au contraire, s'était enchanté de cette nouvelle. Cependant, Flynn avait remarqué que, au lieu de se changer pour dormir, il observait l'entrée du harem avec une certaine appréhension… ou alors le rat qui se promenait sur la terrasse et qui ne serait visiblement pas contre un petit casse-croûte.
« Il commence à se faire vraiment tard. » fit remarquer le soldat qui commençait à avoir faim, le favori ayant attendu longtemps avant de demander à son serviteur d'aller leur chercher à manger. « Il est plus que temps de dormir. »
« Je n'ai pas sommeil. » répliqua le jeune homme vêtu de noir en se tournant vers son interlocuteur. « Libre à toi de dormir si tu en as envie. »
« Pas tant que je serai certain que tu dors toi aussi. »
« Tu vas attendre un bon moment dans ce cas. »
Le garde grogna un peu mais quand, enfin, leur cadet arriva en bâillant avec un plateau chargé de nourriture, il eut du mal à ne pas baver, sa faim lui étant revenue en mémoire. A l'instant où les mets furent posés sur le sol de la chambre, il tendit la main…
« Attendez ! »
Face à cet ordre de Karol, Flynn stoppa son geste vers le plateau tandis que Yuri se figea, l'air à la fois inquiet et furieux.
« Que se passe-t-il ? » demanda le soldat, intrigué.
« Un truc cloche sur le plateau… » fit le cadet, observant attentivement chaque plat qu'il avait pris. « Je suis certain qu'on y a touché mais je n'arrive pas à savoir ce qui a changé. »
Un long silence perdura dans la pièce, perturbé par de léger gargouillis d'estomacs. Celui vêtu de noir s'approcha d'eux, détaillant le plateau en serrant la mâchoire.
« Les fruits… » souffla le favori dont les yeux sombres s'étaient fixés sur les figues. « Pourquoi il y en a quatre ? »
Aux yeux de Flynn, cela ne semblait guère anormal mais visiblement, cela ne l'était pas aux yeux des deux autres. Quand Repede se mit à renifler la partie suspecte du plateau et qu'il poussa un léger grognement, il comprit qu'il y avait quelque chose de pas très net avec ces figues.
« Yuri ne mange pas de figues. » expliqua Karol en se tournant vers Flynn. « Je n'en prends généralement que pour moi et Repede mais jamais plus d'une par personne. On en a rajouté une quand je ne regardai pas… »
« Même si le raisonnement est logique, il est difficile de prouver que tu n'en a pas prise une par erreur. » fit le soldat, toujours intrigué par ce manège. « Et puis j'avoue avoir du mal à comprendre ce qui vous inquiète tant. »
« S'il te faut une preuve, on va t'en donner une. » déclara Yuri sur un ton glacial.
Sur cette phrase, le favori prit la coupe de fruits puis la posa sur le rebord de la terrasse. A peine une minute après qu'il se soit éloigné, le rat qu'ils avaient observés plus tôt arriva et vint mordre allègrement dans l'un des fruits avant de partir avec vers son repaire. Il revint ensuite faire de même avec le suivant mais, cette fois-ci, il se figea subitement et, après avoir poussé un petit cri strident, tomba raide mort au sol.
« Quand je te parlais de monsieur jamais content, je t'avais mentionné qu'il avait un oiseau à une époque. » fit le jeune homme aux longs cheveux bruns en fixant le soldat droit dans les yeux. « Il est mort de la même façon que ce rat et le coupable est quelqu'un du harem. »
Yuri, le regard glacial, vint se planter face à Flynn.
« Donc quand je te disais que cet endroit était plus dangereux qu'il n'y paraissait et que tu ne voulais visiblement pas me croire, ceci devrait te permettre de revoir ton opinion. »
Sur cette phrase, le favori alla s'allonger sur son lit, la mine particulièrement sombre. Tandis que Repede alla le rejoindre, Karol poussa un soupir de dépit.
« Deux de tes prédécesseurs sont morts pour ne pas nous avoir écoutés. » expliqua le serviteur en s'asseyant au sol. « On ne sait pas qui a fait ça mais on se doute que c'est quelqu'un d'ici. »
« Personne n'a cherché à enquêter sur ces morts ? » demanda le soldat, à la fois intrigué et indigné. « Et pourquoi le roi accepte de les laisser impunies ? »
« Parce que ce qui se passe au harem doit y rester. »
A l'entente de cette voix, Flynn tourna la tête vers l'encadrement de la porte et y vit le capitaine Schwann. Ce dernier ne semblait guère ravi d'être ici et, entre ses mains, il tenait une fiole en terre cuite.
« C'est une règle en vigueur depuis des générations et elle n'est pas prête d'être abolie. » poursuivit le plus âgé en tournant son regard vers le favori. « J'imagine que tu n'as pas mangé. »
« Et si t'es là le vieux, c'est que ce soir, c'est moi qui m'y colle. » répliqua Yuri en prenant une position assise sur le lit. « Elle va être longue cette nuit… »
« Que se passe-t-il au juste ? » demanda le soldat, ayant du mal à comprendre la situation.
« Il y a que le roi veut que je fasse mon travail. »
Quittant le lit, le favori s'approcha du capitaine, l'air résigné. Il fixa ensuite la fiole en fronçant le nez de dégout.
« Je le ramènerai quand il aura terminé. » précisa le plus âgé à Flynn avant de se tourner vers l'entrée du harem. « Son Altesse doit commencer à s'impatienter. »
Yuri les salua d'un geste évasif avant de quitter le harem.
-§-
Dès qu'il avait vu l'habit, Yuri avait compris : il n'allait pas dormir très longtemps cette nuit, voire pas du tout – bon, il n'était pas un matinal donc ça ne changerait pas grand chose. En tant que favori, il était supposé avoir des privilèges que n'avaient pas les autres pensionnaires du harem. Cependant, son statut était aussi celui de prisonnier, lui ôtant le droit d'avoir des terres et celui d'être libre de ses mouvements. Il pouvait se passer de ces avantages mais s'il pouvait quitter le harem définitivement, il le ferait sans hésiter.
Seulement, c'était impossible et il le savait très bien…
Les portes des appartements du roi étaient reconnaissables à leurs dorures et aux deux gardes postés en permanence devant celles-ci. Par contre, ce qui n'enchanta pas le favori, c'était la présence de cet homme aux longs cheveux blond platine et vêtu du long manteau pourpre du sorcier solaire. Même avec ces lunettes rectangulaires, Yuri voyait parfaitement la lueur mauvaise au fond du regard de Garista.
« Bonsoir Schwann. » salua le sorcier avant d'adresser un signe de tête poli au favori. « Yuri. »
« Que désires-tu aussi tard Garista ? » demanda le capitaine, laissant échapper un léger soupir agacé.
« Je m'apprêtais en fait à partir… et à te remettre ceci en cas de besoin. »
En voyant le sorcier sortir une fiole en terre cuite d'une des poches de son manteau, le favori eut du mal à cacher sa grimace, se doutait qu'elle devait contenir une mixture qui n'allait certainement pas lui plaire. Il prit aussi une bande de tissu sombre qu'il présenta à l'un des gardes de la porte.
« Bandez-lui les yeux. » ordonna Garista.
Yuri aurait été étonné d'y échapper à cette heure de la nuit. Ce traitement singulier auquel il avait droit ne venait pas de son statut de prisonnier mais plutôt de ce qu'il était et dont très peu de personnes avaient connaissance au palais : il était un Nyx. Si cela se savait, ce serait à la fois le condamner à mort à Hélios mais aussi avec son propre peuple car, même s'il n'avait pas vécu longtemps à Némésis, le jeune homme savait que les traîtres n'y étaient pas du tout les bienvenus – il n'en était pas un sauf qu'être le favori du roi était équivalent à leurs yeux.
La plupart des gens pensait que le peuple de l'obscurité avait totalement disparu mais c'était sous-estimer la progéniture du dieu Umbra, créée à l'image de celui-ci : les Nyx pouvaient voir dans les ténèbres comme en plein jour et étaient malins, une qualité qui avait permis au favori de vivre en Hélios sans éveiller de soupçons sur sa vraie nature. Quoiqu'il faille peut-être aussi mentionner le plus grand talent des enfants du dieu des ténèbres : dès que la nuit régnait, les Nyx pouvaient hypnotiser les humains et les persuader de faire bien des choses. Yuri avait grandement usé de ce talent au début puis il l'avait ensuite délaissé, n'en ayant plus une très grande utilité.
A présent, les rares fois où il se servait de ses capacités étaient pour lutter contre les coups bas des autres favoris du harem – certains des soldats qui avaient été assignés à sa garde avaient découvert ce qu'il était et menacé de le révéler au peuple… ce qui leur avait valu d'avoir la tête brusquement séparée du corps. En plus du roi ainsi que du capitaine Schwann et de Garista, Karol était au courant et ce dernier avait accepté de garder le secret – il faut dire que son cadet se sentait redevable envers lui et qu'il ne voulait pas risquer de perdre un ami.
Avec réticence, il se laissa bander les yeux – Yuri jeta un dernier regard noir au sorcier qui semblait prendre un malin plaisir à occulter la source de son pouvoir – et, une fois qu'il perdit la vue, il ouvrit grand ses oreilles, celles-ci allant être l'un des deux sens qui compenserait celui dont il était temporairement privé.
« Il serait peut-être plus judicieux de lui faire boire mon breuvage avant de poursuivre. » suggéra Garista d'une voix légèrement sifflante au fond de laquelle il percevait toute la perfidie que le personnage s'évertuait à dissimuler. « Qui sait s'il ne va pas nous faire une entourloupe… »
« Son Altesse souhaite qu'il soit apte à réfléchir donc le droguer maintenant serait contre-indiqué. » répliqua la capitaine Schwann sur un ton sec et quelque peu suspicieux, indiquant qu'il n'était pas prêt à faire confiance au sorcier. « Et n'oublie pas que je serais présent. »
« Très bien. Alors à demain Schwann. »
Les pas de l'homme au manteau pourpre s'éloignèrent, Yuri percevant aussi un léger son de frottement, typique de celui d'un vêtement trop long qui traine sur le sol. Il entendit aussi un très léger tintement à côté de lui, juste après que les gardes aient commencés à ouvrir les portes des appartements du roi. La sensation de la main du capitaine de la garde dans son dos lui indiqua qu'il pouvait avancer.
Le favori fut stoppé au bout d'une dizaine de pas et, à l'instant où les portes se refermèrent, il perçut un léger soupir de soulagement.
« Ce qu'il ne faut pas faire… » marmonna son aîné à voix basse. « Remercions Umbra que tu ais échappé à sa drogue cette nuit. »
Yuri s'en était douté : quand il avait quitté sa chambre au harem, il avait bien vu le plus vieux ranger la fiole dans une poche qui n'était probablement pas censée exister sur l'uniforme d'un capitaine et, en constatant qu'elle était identique à celle de Garista, il les avaient discrètement échangées – vu le personnage, le sorcier allait très certainement vouloir la récupérer et vu sa vigilance, il espérait la revoir vide.
« Ça le fait pas pour un capitaine de vénérer un dieu autre que Sol. » murmura le jeune Nyx sur un ton taquin. « Tu te trahis là. »
« N'oublie pas à qui tu dois les quelques nuits où tu n'es pas revenu malade dans ta chambre. »
Le dieu des ténèbres n'était pas vénéré que par ses enfants : les espions et les voleurs lui faisaient souvent des offrandes, ce que Yuri avait appris avec un certain Raven… aussi connu sous le nom de Schwann Oltorain et qui était aussi celui qui était en partie responsable de la situation dans laquelle il se trouvait actuellement. Le jeune homme s'était demandé un bon moment comment il avait pu ne pas se méfier de cet homme à l'époque. S'il avait su à qui il avait réellement affaire, il n'aurait jamais tenté de profiter de la venue du roi à son village pour essayer de l'hypnotiser et ne serait pas tombé dans le piège qui lui avait été tendu.
Mais Raven était aussi celui qui le protégeait face à Garista. Le sorcier concoctait toutes sortes de drogues à son intention et une bonne partie avait été interceptée par l'espion. Elles étaient conçues pour le rendre docile, au point de parfois le plonger dans un état léthargique des plus désagréables quand il en sortait. A cause de son statut, il était contraint de les prendre quand elles lui étaient prescrites afin d'éviter toute tentative de s'en prendre au souverain.
L'écho d'une paire de sandales sur le sol de marbre se fit entendre à environ cinq mètres d'eux puis s'arrêta face à lui. L'odeur épicée qui lui vint aux narines, un mélange de safran, de cardamone et de cannelle, était amplement suffisant pour savoir qui se tenait à cet endroit : le roi Thar.
« Bonsoir Yuri. » fit son Altesse d'une voix chaude tout en lui caressant la joue du dos de la main, un geste qu'il faisait toujours avec lui en privé. « Encore une fois, tu es d'une beauté à couper le souffle ce soir. »
« Je pourrais en dire autant de sa Grandeur si je pouvais la voir dans toute sa splendeur. » répliqua un peu sèchement le jeune homme.
Tout autre pensionnaire du harem aurait évité de mal parler au souverain mais le favori n'était pas comme eux. Contrairement à eux, il ne cherchait pas à s'attirer les faveurs royales via de permanentes courbettes et des flatteries incessantes. Il ne se gênait pas pour dire le fond de sa pensée quand il en avait l'occasion et, en échange de cette liberté d'expression, il se pliait plus ou moins sagement aux envies de son amant.
« Ha ha ha ! J'admets que c'est un vrai gâchis de cacher un si beau regard mais il m'est très difficile de te convoquer à des heures où Sol brille dans le ciel. » fit le roi en glissant sa main sous son menton avant de rapprocher son visage du sien. « Quoique te garder ici jusqu'à l'aube ne me déplairait point. Te voir après nos étreintes, avec les teintes du levant éclairant la pièce, doit être un spectacle des plus grandioses. »
« C'est un nouveau fantasme ? » osa demander Yuri sur un ton légèrement sarcastique. « A ce rythme, nous n'en ferons jamais le tour votre Altesse. »
Un léger rire amusé lui répondit. Il sentit ensuite les lèvres du roi contre les siennes durant à peine deux secondes puis l'une de ses mains puissante se refermer sur son poignet.
« Nous avons le temps avant de s'attaquer à cette étape. » déclara le souverain en l'emmenant avec lui jusqu'au lit puis en le faisant s'y s'asseoir. « J'ai cru entendre que tu avais un nouveau garde. Te convient-il ? »
« Je dois admettre qu'il est le premier à être tout de suite accepté par Repede. » fit le favori sans entrer dans les détails. « Autrement, ça change d'avoir quelqu'un qui ne vient pas de la ville… »
« Ce qui n'est pas une raison valable pour déjà tester ses limites. » coupa le capitaine Schwann sur un ton de reproche. « Pardonnez-moi votre Altesse mais s'il pouvait cesser de dégoûter ses gardes, cela me faciliterai grandement la tâche car trouver des remplaçants devient de plus en plus compliqué… »
Le jeune homme n'entendit pas de réponse, probablement parce qu'elle avait dû se faire par un hochement de tête. Cependant, il ne tarda pas à sentir une main chaude et légèrement rugueuse se glisser dans l'ouverture de sa tunique, venant explorer son buste dans un geste plus possessif qu'affectif.
Un nouveau venu au harem sursauterait face à cette action, n'ayant pas encore connaissance des habitudes et préférences du souverain quand il s'agissait de l'acte sexuel et des préliminaires. Yuri était là depuis suffisamment longtemps pour savoir qu'elles variaient d'un favori à un autre ainsi que suivant les humeurs du roi – il avait parfaitement compris que Raven faisait souvent exprès de le choisir lorsque le roi Thar était d'une humeur exécrable car, dans ces cas-là, son partenaire n'avait pas intérêt à jouer la carte de la flatterie s'il voulait éviter une séance de sexe des plus brutales où le seul but était de déverser sa rage.
Avant d'entrer physiquement au harem, le jeune Nyx avait dû suivre le roi dans le reste de son voyage près du fleuve Neilos, période qu'il avait essentiellement passée attaché dans les appartements royaux. La première nuit où il avait dû se plier aux exigences de l'accord conclu entre eux – à savoir la survie de ceux de son village contre son entrée au harem –, il s'était quelque peu rebellé en mordant avec force le souverain, ce qui lui avait valu d'être « maté » dans un grand coup de reins particulièrement douloureux. Dans un murmure à son oreille, Thar lui avait bien fait comprendre qu'il n'appréciait pas du tout qu'on cherche à le dominer et Yuri, après avoir difficilement ravalé sa fierté, avait accepté d'être plus docile. Les fois suivantes furent moins brutales, plus particulièrement quand Raven lui donnait à boire un aphrodisiaque qui le rendait plus sensible aux caresses qu'il recevait tout en le plongeant dans un état légèrement euphorique – l'alcool présent dans la mixture en était très certainement à l'origine, le jeune homme ayant une faible tolérance aux boissons en contenant au point qu'il essayait d'éviter d'en boire quand il le pouvait.
« Cet après-midi a été épuisant et assez ennuyeux. » lui susurra Thar à l'oreille. « Je suis curieux de voir comment tu comptes me divertir. »
Effectivement, il avait intérêt à être apte à réfléchir ce soir car il allait avoir besoin de son imagination. Heureusement pour lui qu'il en avait à revendre.
« Si son Altesse m'y autorise, je peux l'aider à évacuer la tension qu'elle a tendance à avoir au niveau des épaules. » suggéra le Nyx en posant ses longues mains sur la partie du corps concernée avant de légèrement la palper, sentant clairement que les muscles étaient tendus à cet endroit.
Un grognement appréciateur se fit entendre tandis qu'il commençait à masser cette zone avec précaution – c'était Karol qui lui avait appris comment faire certains massages un jour où il s'ennuyait. Il fut brusquement interrompu quand il se retrouva plaqué contre le corps du roi et qu'il colla son visage contre sa nuque, humant son odeur avec un plaisir non dissimulé tout en lui arrachant des soupirs de plaisir en lui mordillant cette partie qui était assez sensible chez lui. Par réflexe et aussi par habitude, il pencha la tête sur le côté, facilitant la tâche du roi qui était concentré à lui faire un suçon, ce dont le jeune homme n'eut aucune difficulté à deviner via le mouvement des lèvres sur sa peau – son épiderme ne frottant contre rien de particulier, il en conclut que le souverain devait s'être rasé aujourd'hui.
« Au cas où sa Majesté l'aurait oublié, elle n'a pas pris le temps de dîner ce soir. » rappela le capitaine avec neutralité, ce qui fit se décaler le roi Thar de son amant. « Je peux lui faire apporter une collation pour elle et son favori si elle le désire. »
« Un repas léger sera parfait. » approuva le souverain en posant une main au creux des reins de Yuri. « Le dessert n'en sera que meilleur après. »
Le geste était possessif, le jeune Nyx le savait parfaitement. S'il était connu que les pensionnaires du harem s'échangeaient des faveurs sexuelles, ils devaient cependant se montrer discrets vis-à-vis de cela quand ils quittaient cette partie du palais, surtout s'ils étaient parmi les favoris. Le roi tolérait difficilement ce fait et, si par malheur, il arrivait à ses oreilles qu'un de ses amants venait à le tromper avec un serviteur ou un garde, les concernés finissaient décapités. Pour cette raison, personne ne parlait des évènements du harem en face du souverain car, suivant son humeur du jour, il pouvait aussi punir celui qui lui rapportait l'information.
« Avant que nous ne commencions, y-a-t-il quoique ce soit que tu souhaites pour toi ? » lui demanda le roi Thar tout en lui ôtant sa tunique.
« Je suis là pour satisfaire vos désirs et non… »
« … les tiens. » compléta le souverain avec un léger amusement. « De tous mes favoris, tu es le seul dont les demandes tiennent sur les doigts d'une seule main. »
Cela était vrai. Yuri était l'unique pensionnaire du harem à ne jamais rien demander en faveurs, faisant que ce qu'il obtenait en vêtements et bijoux étaient uniquement des présents directs du roi – la majorité du temps, ces cadeaux coïncidaient avec les soirs où il était désigné pour aller aux appartements royaux mais il les refusait fréquemment ou les renvoyaient une fois venu le lendemain. Les deux seules requêtes qu'il avait formulées furent pour faire de Karol son serviteur personnel et faire rentrer Repede au harem.
Cependant, jamais il n'avait demandé sa liberté car il se souvenait encore parfaitement des conséquences dramatiques de sa seule tentative d'évasion : en guise de punition, le garde et le serviteur qu'il avait à l'époque avaient été exécutés sous ses yeux.
« Si c'est pour cette raison que vous videz les caisses en babioles sans intérêt que vous me faites amener sans arrêt, utilisez plutôt l'argent des impôts pour financer autre chose. » lança le jeune Nyx avec une pointe d'ironie. « J'ai pas besoin de votre aide pour encombrer ma chambre. »
« Je cru le remarquer. » répliqua le roi Thar tandis que des bruits de pas discrets, probablement ceux de serviteurs, se firent entendre. « En tant qu'hôte, il est de mon devoir de m'assurer que mes invités n'aient besoin de rien. »
« Oh ? Ce n'est pourtant pas ce que raconte le charmant tatouage que j'ai en haut du dos… »
Se fiant aux sons qu'il percevait, Yuri comprit que le repas de son Altesse était arrivé. A tâtons, il se déplaça jusqu'à être face au dos du souverain puis plaça ses mains sur ses épaules et commença à palper la zone à masser. Le silence régna tandis qu'il se concentrait à sa tâche.
Ses pensées vagabondèrent jusqu'à le ramener trois ans en arrière, au jour où il avait violemment chassé le percepteur royal et convaincu les habitants de son village de se révolter. Rita, une amie à lui, envisageait à l'époque de monter à la capitale pour y consulter différents registres. Avait-elle trouvé les réponses qu'elle cherchait ? Quant à Judith, une krytienne qui s'était récemment installée parmi eux, priait-elle toujours ardemment Océan afin qu'il partage ses bienfaits avec le peuple d'Hélios ou était-elle retournée à Myorzo ?
Dans ces moments-là, il regrettait vraiment d'être ainsi en captivité, n'ayant que de vagues échos de ce qu'il se passait dans le royaume…
« Je vais devoir m'absenter pour deux jours. » déclara le roi Thar en se tournant légèrement vers lui. « Un nouveau vent de révolte commencerait à souffler parmi le peuple. »
« Et en quoi cela me concerne ? » demanda Yuri un peu brutalement, cessant par la même occasion de masser les épaules du souverain.
Le son d'un flacon que l'on ouvrait ainsi qu'une légère odeur d'huile d'olive vint à ses narines. Le jeune Nyx n'eut pas besoin de plus pour savoir que le temps des dialogues constructifs était fini et il s'allongea sur le dos, les jambes à moitié pliées et attendant la suite des évènements. Elle ne tarda pas : le reste de ses vêtements lui furent ôtés, le laissant complètement nu sur les draps en lin. En sentant les mains du roi se poser sur ses pieds et remonter lentement le long de ses jambes, il écarta ses cuisses au même rythme, stoppant une fois que les doigts atteignirent l'aine. Il laissa échapper un léger soupir quand le souverain vint effleurer de ses lèvres l'intérieur de chacune ses cuisses, laissant ses longs doigts s'agripper aux draps en lin tandis qu'il sentit un souffle chaud sur ses parties intimes, provoquant un frisson le long de sa colonne vertébrale.
Un froissement de tissu lui indiqua que le roi devait probablement ôter son pagne, seul vêtement que le favori était certain qu'il portait. L'odeur de l'huile d'olive revint à ses narines, plus puissante, et il n'eut pas à attendre longtemps pour que deux doigts poisseux viennent se poser contre son anus puis s'y glisser en lui arrachant un grognement d'inconfort.
Yuri s'était depuis longtemps accommodé à ce genre de traitement. Les premiers jours, en plus des douleurs en bas du dos, il lui arrivait de vomir en repensant à ce qu'il avait dû faire – aujourd'hui, les rares fois où il rendait ce qu'il avait avalé étaient quand il était obligé de boire une des mixtures de Garista. Il s'estimait souvent heureux de ne pas être une femme car vu le temps qu'il passait avec les cuisses écartées, c'était certain qu'il aurait déjà eu plusieurs enfants et qu'il serait encore plus paranoïaque qu'actuellement dans le harem.
En sentant cette décharge familière à l'intérieur de son corps, le favori lâcha un gémissement de volupté et il se laissa aller à ces sensations si plaisantes…
-§-
N'arrivant pas à dormir, Flynn avait discrètement quitté les appartements du favori pour marcher un peu et en profiter pour se familiariser un peu plus avec les lieux. La nuit régnant, l'ambiance et les températures étaient totalement différentes, au point que la fraîcheur nocturne lui donnait la chair de poule. Excepté quelques serviteurs qui nettoyaient la cour et un garde, le jeune homme ne vit personne, que ce soit dans la partie de favoris ou dans le reste du harem. Tous ceux qui habitaient ici étaient très certainement en train de dormir.
En revenant sur ses pas, le jeune garde passa de nouveau en vue du troisième bâtiment et dont l'accès était totalement fermé par des grilles de métal. L'obscurité lui donnait un air des plus sinistres, comme s'il était hanté.
Peu enthousiaste à l'idée de rester dans les parages, il retourna d'où il venait sans s'apercevoir que la pierre de son bracelet s'était mise à luire faiblement tandis qu'il observait cet endroit…
NB : Pfiou… Enfin fini… Depuis le temps qu'il traînait ce projet, je me demandais si j'arriverais enfin à achever le début.
Auteur vs Persos :
(Suite à la canicule, Kaleiya a préféré déménager dans un pays bien plus frais le temps que les températures redeviennent supportables chez elle)