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Kaleiya Hitsumei ([personal profile] kaleiyahitsumei) wrote2017-08-06 02:24 pm

Mélodie Funèbre - 3

 Fluristelle Month 2017 : Separation – Reunion

Note : Là, on va plutôt s'intéresser à Flynn et répondre aux questions qui le concerne… donc pas de passages dans le monde des rêves pour ce chapitre.


Fin septembre dans les environs d'Halure un an plus tôt. L'été laissait place à l'automne, teintant les arbres de teintes chaudes qui créaient progressivement un beau festival de couleurs sur les collines et les montagnes aux alentours, tandis que venait le moment de commencer à ratisser les feuilles mortes avant que celles-ci n'envahissent les pelouses et qu'elles ne deviennent plus difficiles à rassembler avec la pluie.

Dans le jardin du manoir Blackwood où il vivait depuis pas mal de temps, Flynn enlevait les quelques feuilles qui étaient tombées sur une pierre tombale où était gravé « Elisabeth Blackwood, 1849 – 1870 ». Ses yeux azur lurent ce nom pour la énième fois et, comme à chaque fois, il avait une douleur dans la poitrine, comme si on lui avait arraché le cœur… ce qui était à peu près ce qu'il s'était produit cette nuit fatidique où, à son retour, il l'avait trouvée dans le petit salon, gisant sur le parquet et avec un foulard fermement serré autour de sa nuque délicate. En sentant son corps glacé contre ses doigts, il avait cru mourir une seconde fois…

Sa première mort remontait bien des siècles plus tôt quand, jeune chevalier, il avait participé aux Croisades et où il avait combattu de toutes ses forces. Mais un jour, son épée s'était attaquée à ce qu'elle n'aurait jamais dû toucher : un Faucheur d'âmes en train d'accomplir sa besogne. Il l'avait tué en un coup… et s'était condamné par la même occasion à devoir prendre la place qui était à présent vacante, que cela lui plaise ou non. Il avait gagné l'immortalité mais celle-ci avait un goût bien amer en bouche…

Pendant des décennies, il avait envoyé bon nombres d'âmes là où elles le méritaient, que ce soit dans un lieu meilleur ou dans un endroit digne de l'Enfer, tout en se mêlant discrètement à la population, évoluant en même temps qu'elle, s'adaptant aux modes, aux avancées scientifiques ou techniques… Il avait perdu goût à la vie, se considérant comme étant un mort parmi les vivants.

Puis un jour, il avait croisé la route de Lilith.

C'était en hiver en l'an 1863 : il s'était rendu au manoir Blackwood en tant qu'artiste pour accompagner un comte qui avait été invité par Lady Greed qui gérait les lieux depuis la mort de Robert Blackwood, le beau-père de sa sœur défunte. Seulement, il n'était pas resté longtemps car peu avant son arrivé, elle s'était disputée avec sa nièce et cela avait quelque peu gâché la soirée. Mais quand il s'était aperçu qu'il avait oublié un de ses gants dans le petit salon, il avait rebroussé chemin. Sa première idée avait été d'user de ses pouvoirs de Faucheur pour entrer et récupérer discrètement son bien, ce qu'il comptait faire lorsque, en arrivant, il vit à travers la fenêtre que quelqu'un l'avait déjà trouvé : une jeune fille aux cheveux de jais qui était vêtue d'une robe de chambre d'homme aux tons violacés qui semblait un peu grande pour elle.

Ce n'était pas la première fois qu'il l'apercevait, ayant déjà eu l'occasion de la voir à l'automne suite à la mort de son grand-père, évènement qu'elle avait très mal vécu – il était malheureusement habitué à voir la peine des proches au point d'en devenir presque totalement indifférent. Seulement, cette fois-ci, quelque chose chez elle le captivait…

Sans vraiment réfléchir, il avait toqué à la fenêtre, la faisant sursauter elle et son jeune chien. Réalisant à son regard qu'il lui avait probablement fait peur, il fit quelques gestes pour lui faire comprendre la raison de présence, faisant que, un peu soulagée, elle lui avait ouvert.

—Pardon, s'était-il excusé en restant à l'extérieur. Je ne voulais pas vous faire peur mais comme j'ai vu du mouvement…

—Je m'en remettrai, avait-elle dit à voix basse avant de lui tendre le gant. C'est à vous je présume ?

—Oui, merci. Je suis vraiment désolé pour le dérangement.

Il s'était avancé d'un pas pour récupérer son bien puis avait baissé la tête vers le jeune chien qui l'observait attentivement. Il s'était accroupit pour se mettre au niveau de l'animal et avait attendu un peu, laissant le temps au chien de le renifler avec attention. Son examen finit, le jeune chien avait remué joyeusement la queue et Flynn lui avait caressé affectueusement la tête avant de se relever.

—Il n'aime pas les étrangers d'habitude, avait remarqué l'adolescente, étonnée.

—Il protège sa maîtresse, ce qui est normal, lui avait-il répondu. Par contre, je vais devoir vous laisser…

—Vous reviendrez ?

Surpris par cette question, il avait marqué un temps d'arrêt, captivé par ce regard anthracite et cette peau claire qui luisait sous le clair de lune.

—Uniquement si vous le désirez.

Il avait prononcé ces mots sans réfléchir et ce ne fut que plusieurs jours plus tard qu'il avait réalisé que cette nuit-là, il avait commencé à tomber amoureux d'elle alors qu'il savait très bien qu'elle n'avait que quatorze ans à cette époque. Pendant un bon moment, il avait essayé de se convaincre que c'était mal d'être attiré par elle, une simple mortelle qu'il serait bien contraint d'envoyer un jour dans l'au-delà. Cela avait marché et il avait évité le manoir Blackwood avec soin…

Jusqu'à un soir en 1864 : c'était le mois d'août et le soleil ainsi que la chaleur étaient au rendez-vous, faisant que la nuit, les fenêtres étaient souvent laissées ouvertes pour faire rentrer la fraicheur. Seulement, il avait été contraint de retourner dans la demeure qu'il évitait, plus précisément dans le salon, car sa funeste besogne l'attendait : une employée du manoir était morte, vraisemblablement suite à un empoisonnement.

Arrivé sur les lieux, Flynn avait revêtu sa tenue macabre et n'avait pas eu longtemps à attendre avant que l'âme de la défunte ne prenne forme. Elle était désorientée au début mais en comprenant ce qu'il lui était arrivé, elle se mit à paniquer et le Faucheur avait été contraint d'user de ses pouvoirs pour la calmer afin de l'envoyer dans un lieu où elle pourrait reposer en paix. Mais à peine avait-il terminé que le son du parquet qui grinçait lui avait fait brusquement tourner la tête vers la double-porte du salon… et qu'il avait découvert que Lilith l'avait vu, visiblement choquée par ce qui se trouvait devant ses yeux.

La capuche qu'il avait sur la tête ne permettait pas de voir son visage… mais c'était sans compter sur Repede, le chien de l'adolescente, qui, profitant de sa surprise, avait attrapé son long manteau noir avec ses crocs et l'avait tiré d'un coup, révélant ses traits à la jeune fille sans qu'il ait eut le temps de réagir. Flynn allait lui expliquer quand elle lui avait fait signe de se taire… et qu'il eut entendu du bruit venant de l'étage.

Ses yeux azurs avaient rapidement observé l'ensemble du tableau et il en avait conclu que s'il fuyait, certaines personnes pourraient penser que l'adolescente de quinze ans avait tué son employée, ce qui était faux. Or, vu ce que ce comte lui avait raconté, Lady Greed avait plutôt intérêt à ce que sa nièce ne soit plus dans ses pattes pour espérer mettre la main sur l'héritage… et il en était venu à se demander si le poison n'était pas en fait destiné à cette jeune héritière.

D'autres sons se faisant entendre, Flynn avait vite récupéré son manteau noir et, tandis que Repede avait sauté par une fenêtre ouverte en aboyant, il avait enveloppé Lilith et lui-même avec le tissu puis usé de sa magie… pour les transporter dans la chambre de la jeune fille. Il n'avait ensuite pas perdu plus de temps et avait quitté les lieux… pile au moment où le corps de l'employée de maison avait été découvert par sa collègue qui avait poussé un cri déchirant, alertant la demeure toute entière.

Ce ne fut que le lendemain qu'il revint sur place, cette fois-ci en tant que photographe mandaté par le comte qui l'avait invité ici l'hiver précédent. Lady Greed avait facilement gobé ce prétexte, peu mécontente d'apprendre que ce cher comte voulait montrer un portrait de sa nièce à certains de ses amis. C'était donc en toute confiance qu'elle l'avait laissé seul au manoir, ayant apparemment des choses à faire en ville.

Il avait facilement trouvé Lilith au son du piano, le premier mouvement de la sonate Clair de Lune résonnant dans le petit salon tel un chant funèbre. Sa façon de jouer de cet instrument était remarquable : il sentait toute la tristesse qu'elle insufflait dans les notes de ce morceau, intensifiant cette lamentation musicale. Il était limpide pour lui que si elle connaissait ce passage sur le bout des doigts, elle savait comment transmettre ses émotions à travers les sons qu'elle tirait des touches du piano.

—Est-ce qu'elle m'entend jouer ? avait soudain demandé la jeune femme sans lui jeter un regard.

—Qui do-, commença Flynn avant de comprendre ce qu'elle venait de lui demander. Je ne sais pas. J'ignore ce qu'il se passe de l'autre côté.

Comment avait-elle deviné qu'il était derrière elle ? Il avait cherché et vite compris en notant que Repede était installé à côté d'elle et que l'animal avait réagi en le voyant, signalant ainsi à sa maîtresse que quelqu'un était entré ainsi que si la personne était ou non un ami.

Avec précaution, le jeune homme avait posé son matériel dans un coin discret puis s'était assit sur la causeuse, écoutant la fin du premier mouvement de la sonate. Elle enchaîna ensuite directement avec le suivant, cette fois-ci en y mettant de la joie, ce qui se voyait au sourire qu'elle avait sur les lèvres.

—Je n'étais pas sure de vous revoir, lui dit Lilith en continuant de jouer. Ce qu'il s'est passé cette nuit était si étrange que j'ai pensé un temps l'avoir rêvé…

—Vous étiez parfaitement éveillée, lui confirma Flynn. J'aimerai d'ailleurs m'excuser de la frayeur que je vous ai faite et… vous demander de garder cela pour vous.

—Ce n'est pas comme si nous allions le crier sur tous les toits. N'est-ce pas Repede ?

A sa question, le chien répondit par un aboiement affirmatif, ce qui fit sourire le Faucheur.

—Par contre, j'avoue me poser quelques questions… admit la jeune femme en approchant de la fin du deuxième mouvement. Si j'ai bien compris, vous êtes la mort…

—Plutôt un de ses nombreux émissaires, la corrigea le jeune homme. Nous sommes plusieurs à assumer cette fonction à travers le monde depuis des décennies.

Lilith acheva le deuxième mouvement sans problème… puis il la vit se mordre la lèvre inférieure et entamer le dernier mouvement avec maladresse, ce qui l'étonna quelque peu car il l'avait déjà entendu jouer ce passage et elle n'avait pas ces difficultés. Son manque d'assurance se ressentait et très vite, elle fit des fausses notes puis arrêta de jouer, visiblement agacée par cet échec.

—Inutile que je continue ce… massacre, dit-elle en soupirant de dépit. Je suis une bien piètre pianiste…

—Absolument pas, lui dit-il avec conviction. Vous êtes capable de jouer ce morceau.

—Je sais… Mais je n'y arrive plus depuis que cette chose qui me sert de tante veut gérer ma vie !

Brusquement, elle se leva de son banc puis vint s'asseoir à côté de lui en soupirant, ce qui n'était pas vraiment une attitude que devait avoir une jeune femme de son âge mais qui, lui, ne le dérangeait pas. Pour lui remonter le moral, il avait beaucoup parlé avec elle et celle-ci s'était beaucoup intéressée à lui. Ils avaient échangé sur leurs passés respectifs sans trop entrer dans les détails mais suffisamment pour avoir un meilleur aperçu de l'autre. Flynn l'avait ensuite prise en photo dans le jardin afin de rendre son mensonge plus crédible et il était reparti quand il avait senti que du travail l'attendait.

Régulièrement, il était revenue la voir et avait ainsi découvert qu'elle s'était liée d'amitié avec une jeune fille plus jeune qu'elle : Estellise Sidos Heurassein qui était issue d'une famille noble. Il leur arrivait de prendre le thé tous les trois pour bavarder, surtout en l'absence de Lady Greed. Lorsqu'il devait partir, Lilith l'aidait toujours à trouver une bonne excuse pour cela.

Puis, après qu'elle ait eu seize ans, elle lui avait posé des questions sur les anneaux qu'elle avait vus autour de son cou et il lui avait répondu… sans se douter qu'elle profiterait de l'occasion pour en passer un à son doigt et lui déclarer qu'elle voulait se marier avec lui. Il avait d'abord essayé de lui faire comprendre qu'elle n'aurait jamais une vie normale mais ce n'était pas ce qu'elle désirait. Son souhait, c'était d'être libre et il comprit qu'il était le seul à pouvoir l'exaucer, même si cela impliquait que leur idylle serait à la fois brève et compliquée. Par amour pour elle, il avait accepté de se fiancer avec elle…

Seulement, comme il s'y était attendu, Lady Greed n'avait pas vu cela d'un bon œil car Flynn était un simple artiste et n'avait rien. Elle avait donc précipité sa nièce dans un mariage arrangé… qui avait vite tourné court avec le pouvoir des anneaux des Faucheurs lorsque le marié, un vieux bourgeois fortuné, n'a jamais pu arriver à temps aux noces : il avait fait une mauvaise chute de cheval et en était mort. D'autres prétendants avaient saisi l'occasion pour prendre la main de la belle Elisabeth Blackwood mais le malheur s'abattit aussi sur eux, au point que la rumeur courait comme quoi la jeune femme était maudite, ce qui n'arrangeait pas les affaires de sa tante… qui opta pour d'autres solutions afin de se débarrasser de celle qu'elle considérait comme un problème.

Lilith était intelligente et avait donc réussi à esquiver toutes les tentatives d'empoisonnements la visant, principalement en usant de la maison elle-même qui, de ce que le Faucheur avait compris, recelait de recoins cachés que feu Robert Blackwood avait aménagés et dont seule sa petite-fille connaissait les emplacements exacts. Seulement, elle était passée à d'autres méthodes comme payer quelqu'un pour tuer sa nièce. Là encore, elle avait échoué mais cela avait coûté un œil à Repede qui, suite à cela, ne laissait presque plus personne s'approcher de sa maîtresse.

C'était suite à cet évènement que Flynn avait travaillé plus dur pour amasser une énorme somme d'argent tout en négociant avec le comte qui lui avait permis de passer inaperçu. Ce dernier était un bon vivant mais les dettes dont il avait hérité ainsi que son titre étaient un handicap pour lui, faisant que le Faucheur avait réussi à le convaincre de lui vendre son titre de noblesse et à entamer une nouvelle vie dans une autre ville.

Quand il fut revenu au manoir Blackwood mais en tant que comte Flynn Scifo, Lady Greed était loin d'être ravie et avait encore tenté de le chasser mais le jeune homme avait une autre carte dans sa manche : les témoignages de ceux qui avaient été engagés pour assassiner Elisabeth Blackwood et qui avaient échoués ainsi que des preuves prouvant qu'elle avait tout intérêt à voir sa nièce disparaître pour avoir accès à l'héritage de Robert Blackwood. Il lui avait donné le choix entre le laisser épouser Lilith ou bien faire face à la justice. Le choix avait été rapide et elle avait quitté la demeure.

Quelques jours plus tard, il avait enfin pu célébrer son mariage avec celle qu'il aimait durant le printemps de l'année où elle allait avoir ses dix-sept ans. Le comité avait été très restreint avec pour seuls invités, leurs témoins respectifs : Estellise, Repede et un Faucheur que Flynn avait rencontré deux siècles plus tôt. Seulement, il avait tenu à ce que leur nuit de noces attende qu'elle ait dix-huit ans, principalement car ils n'avaient encore jamais vécu sous le même toit et qu'il leur fallait donc s'habituer à vivre ensemble.

A cause des manigances de Lady Greed et du fait qu'il fallait que le jeune homme garde ses secrets, il n'y avait plus aucun domestique au manoir Blackwood, faisant que c'était à eux d'entretenir la demeure. Avec les horaires chaotiques du Faucheur, Lilith avait vite prit en main la cuisine, ce qu'elle avait déjà commencé à faire avant que sa tante ne s'installe. Même si jouer les femmes au foyer la faisait souvent grimacer, elle pouvait s'organiser comme elle le désirait et, surtout, elle se sentait vraiment libre de ses mouvements chez elle, y compris quand elle invitait son amie qui appréciait beaucoup la nouvelle ambiance des lieux.

Un jour, en revenant d'une matinée passée à envoyer des âmes dans l'au-delà, il avait trouvé sa compagne en train de s'occuper du jardin… vêtu de l'un de ses pantalons de travail et d'une de ses vieilles chemises. Elle avait attaché ses cheveux à la va-vite en un chignon assez brouillon mais qui lui correspondait à merveille. Elle avait un peu de terre sur les bras et le visage, signe qu'elle avait été très occupée en son absence. Quand elle avait réalisé qu'il était là en train de la regarder, elle lui avait demandé ce qui n'allait pas… et il l'avait embrassée avec fougue, ce à quoi elle lui avait répondu qu'elle savait à présent qu'elle pouvait continuer à lui piquer ses vêtements.

Bien entendu, il leur arrivait de se disputer sur des sujets divers et variés mais chacun avait son exutoire à sa propre colère : lui dessinait ou peignait tandis qu'elle jouait du piano, généralement le troisième mouvement de la sonate Clair de Lune qu'elle sublimait avec sa frustration et sa rage. Une fois, ils avaient eu un désaccord assez violent alors qu'il essayait de peindre une nature morte et ils en étaient venus à se jeter de la peinture à la figure jusqu'au moment où sa compagne lui avait sauté dessus pour essayer de le plaquer au sol… ce qui n'avait pas vraiment fonctionné vu qu'il l'avait vite dominée… et qu'il n'avait pas pu s'empêcher de rire en voyant l'état de son visage, mettant fin à leur querelle du moment.

Jusqu'aux dix-huit ans de Lilith, ils avaient fait chambre à part pour limiter les tentations et aussi parce qu'il avait besoin de peu d'heures de sommeil à cause de son statut de Faucheur. Le soir de l'anniversaire de son épouse, cette dernière l'avait rejoint dans sa chambre… uniquement vêtue de sa robe de chambre mauve qu'elle avait ensuite ouverte en grand puis laissée tomber au sol, le laissant face à une vision qui lui donnait l'impression de contempler une œuvre d'art. Elle était tellement belle avec ses longs cheveux de jais qui lui tombaient sur la poitrine qu'il osait à peine la toucher.

Aucun d'eux ne regrettait d'avoir attendu pour leur nuit de noces. Flynn ne se lassait pas de sentir sa peau nue sous ses doigts ou de la voir endormie, ses longs cheveux noirs étalés sur les draps. Les étreintes passionnées qu'ils avaient partagées n'avaient fait que lui confirmer son amour pour cette femme et son désir de partager le plus de moments possibles avec elle.

Après cette délicieuse nuit, il s'était mis en tête de faire quelques tableaux de sa compagne et ce, bien qu'il avait déjà pas mal de photos d'elle, que ce soit vêtue de ces robes style empire qu'elle aimait tant ou d'une tenue masculine, bravant les codes vestimentaires des femmes de l'époque. Il s'était surtout appliqué à faire un portrait d'elle puis, sur la suggestion de cette dernière, une toile où elle était assise de façon aguicheuse et ce, entièrement nue…

Ils avaient été heureux… jusqu'au 31 octobre 1870, le jour où leur bonheur vola en éclats.

Ce soir-là, Flynn était allé envoyer de nombreuses âmes dans l'au-delà, le choléra ayant fait des ravages dans une ville de la région. Il venait de terminer sa besogne quand son instinct de Faucheur l'avait appelé… à rentrer chez lui car quelqu'un y était mort. Son sang s'était immédiatement glacé et il était vite retourné au manoir pour s'assurer qu'il s'était trompé. Mais à son retour, aucun son ne se faisait entendre… et Repede était étendu au sol, baignant dans son sang. Avec précipitation, il avait cherché sa compagne dans toute la demeure… pour la trouver dans le petit salon, morte après avoir été étranglée.

Bien qu'il savait qu'un jour, ils devraient se séparer, jamais il n'aurait pu imaginer que cela se produirait si tôt et d'une manière si douloureuse. Il avait hurlé jusqu'à en perdre la voix, ses larmes ruisselant le long de ses joues et venant s'écraser sur le visage figé de son aimée. Sa peine était immense… au point qu'il n'avait réalisé que bien plus tard qu'étrangement, l'âme de Lilith n'était pas présente.

Le cœur lourd, il s'était résolu à enterrer son épouse dans le jardin du manoir et avait ensuite usé de ses pouvoirs de Faucheur sur cette demeure, faisant en sorte que personne ne puisse y entrer sans sa permission.

Plus d'un siècle plus tard en ce mois de septembre, il s'était rendu dans la ville d'Halure pour accomplir sa macabre besogne et venait de finir quand il s'était rendu à l'épicerie de la ville pour acheter de quoi manger. Son esprit était à nouveau obnubilé par ce drame et, surtout, d'essayer d'en déterminer l'auteur. Il avait depuis longtemps écarté Lady Greed car celle-ci avait succombé au choléra l'année avant la mort de Lilith et il en avait fait de même avec tous ceux qui auraient eu l'héritage comme mobile, aucun ne s'étant trouvé dans la région le jour du meurtre. Quelque chose lui échappait…

—Ce serait possible de vous décaler ?

Sortant de ses pensées, Flynn s'écarta pour laisser passer l'employé de l'épicerie… et il crut frôler la crise cardiaque en voyant son visage : il ressemblait trait pour trait à Lilith !

Essayant de se montrer plus rationnel, le Faucheur l'observa de loin, supposant qu'il était un descendant de la famille Blackwood qu'il avait peut-être raté en faisant leur généalogie. Seulement, en voyant les expressions de son visage, l'étincelle dans ses yeux anthracite et sa façon de râler, il avait eu un sérieux doute car cet inconnu et feu sa compagne avaient bien trop en commun.

En remarquant que l'employé semblait galérer pour trouver dans quel rayon il devait ranger les boîtes de conserves qui avaient manifestement été déplacées par un petit malin, il se dit que c'était peut-être l'occasion idéale…

—Besoin d'aide ? proposa Flynn, attirant sur lui ce regard anthracite qui l'intéressait tant.

—Ouais, admit l'employé en grimaçant. Je viens de commencer ce job et je dois déjà ranger tout le magasin alors que je viens d'arriver… en retard.

Amusé, il lui avait expliqué où allaient certains articles pour lui faciliter la tâche et ils avaient un peu discuté. Ainsi, il avait appris que ce jeune homme se nommait Yuri et qu'il venait d'emménager à Halure. Ils avaient fait connaissance au fil des jours, le Faucheur ayant fait en sorte de passer le plus souvent possible à l'épicerie, leur permettant de se lier d'amitié bien qu'ils ne se voyaient pas beaucoup en dehors de ce lieu, lui parce qu'il savait qu'il risquait de devoir partir à l'improviste et l'employé car il lui semblait qu'il maintenait volontairement une légère distance entre eux.

Un jour où Yuri était un peu distrait, Flynn en avait profité pour vérifier quelque chose… et avait confirmé ses soupçons en voyant apparaître brièvement cette alliance au doigt du jeune homme, lui révélant la vraie cause des malheurs affectifs de son ami : Elisabeth Blackwood, sa compagne qu'il avait tant aimée, s'était réincarnée en tant que Yuri Lowell.

Le Faucheur était sincèrement heureux d'avoir retrouvé l'âme de son amour… mais lorsque, après avoir fêté ses vingt-et-ans, son ami se mit à faire ces rêves où il voyait la scène du meurtre de Lilith, il eut des sueurs froides à l'idée de perdre à nouveau cette personne. Il avait tenté de reprendre l'anneau et ainsi briser le mariage mais à chaque fois, c'était un échec car, consciemment ou non, Yuri refusait de briser ce lien.

En voyant la date fatidique se rapprocher dangereusement et suite aux remarques de Sodia, Flynn en avait convenu qu'il ne pouvait plus se permettre de garder cela pour lui. Il avait besoin d'aide pour à la fois résoudre ce meurtre vieux de plus d'un siècle et empêcher un drame de se produire de nouveau.

Or, durant toutes les années s'étant écoulées depuis le jour où son cœur avait été brisé, il avait rassemblé dans sa demeure quelques âmes qui ne souhaitaient guère quitter le monde des vivants et qui, en échange, lui rendaient divers services. Dans une des chambres à l'étage, il y avait justement trois d'entre elles qui étaient présentes… et plus particulièrement Repede, le chien de Lilith qui refusait de l'abandonner, et Estellise Sidos Heurassein, empoisonnée quelques mois après la mort de son amie par un membre de sa famille et qui souhaitait élucider le meurtre ayant eu lieu au manoir Blackwood avant de trouver le repos éternel. A ses côtés, il y avait Rita Mordio, un autre fantôme qui avait refusé de rejoindre l'au-delà après avoir été brûlée vive pour sorcellerie alors qu'elle était une scientifique – celui qui s'était occupé de son cas au départ avait préféré la laisser errer en pensant qu'elle ne ferait pas plus de dommages qu'un feu follet… sans se douter qu'elle provoquerait des incendies sur son passage, faisant que Flynn avait rendu un grand service aux habitants de la région en la ramenant chez lui.

—Oh ? fit Estellise en le voyant entrer. Bonsoir Flynn. Il y a un problème ?

—C'est deux heures du matin, remarqua Rita en jetant un œil à l'horloge. Ca ne peut pas attendre que le soleil se lève ?

—Pas vraiment non, déclara le Faucheur avant de se tourner vers la jeune femme aux grands yeux turquoise. Il faut que je te parle en privé au préalable.

Soupirant d'exaspération, celle aux yeux verts quitta la pièce tandis qu'Estellise s'était mise à le fixer avec curiosité, tout comme Repede qui sentait que quelque chose n'allait pas.

—Lilith s'est réincarnée, révéla Flynn, provoquant la joie de la jeune femme. Seulement, il n'a aucun souvenir de sa vie antérieure.

—Il ? questionna-t-elle, intriguée. Elle est devenue un garçon ? Ce serait logique en même temps…

—Oui, c'est un homme à présent mais depuis quelque temps, il rêve de la nuit du meurtre et ces derniers jours, cela a empiré au point que cela en affecte son quotidien. Je… ne sais pas quoi faire et le 31 est de plus en plus proche…

Il lui avait tout avoué : sa rencontre avec Yuri, la surveillance discrète qu'il faisait du jeune homme… il ne lui avait caché aucun détail, estimant qu'elle méritait de savoir ce qu'il se passait. Elle l'avait patiemment écouté, ne lui faisant aucun reproche pour lui avoir dissimulé tout cela jusqu'à ce jour.

—Ne t'en fais pas, lui dit Estellise avec un sourire emplit de douceur. Nous serons ravis de t'aider.


NB : C'était important que j'introduise au plus tôt Estelle vis-à-vis du Fluristelle Month… Rita n'était pas essentielle mais je la voyais mal sans Estelle et vice versa.